Elle était arrivée au port, le palpitant au bord des lèvres, le souffle coupé, la vue embrumée par les larmes qui refusaient de couler. Elle avait couru depuis sa maison jusque là, sans vraiment trop réfléchir. Elle savait que Leif revenait aujourd'hui, il le lui avait dit par corbeau. Et autant dire qu'il allait tomber à pic. Une fois sur place, elle avait eu le temps de se calmer, de s'essuyer les yeux et de paraître des plus normales. Sa gorge était cependant nouée et elle guettait le drakker de Mats Karlsefni, qui n'était pas encore là. Elle se contenta de saluer de la tête quelques personnes par pure politesse mais elle n'avait vraiment pas l'envie de discuter avec qui que ce soit à cet instant précis. Sauf à Leif. Lui seul serait capable de contenir le flot d'émotions qui se bousculaient. Son attente prit fin et le jeune homme débarqua. Elle était facilement trouvable, et il n'y avait pas foule. S'approchant rapidement d'elle, elle l'enlaça sans dire un mot pendant de longues secondes. Ce contact suffisait déjà à l'apaiser. Elle se détacha légèrement, son visage n'arrivait pas à afficher le moindre sourire et pourtant elle n'avait pas envie qu'il pense qu'elle n'était pas contente de le revoir.  « Il faut que.. qu'on parle, c'est important. Dans un endroit plus calme. » Elle ne lui laissa pas vraiment le choix et si son cousin venait à l'ennuyer, Hedvig irait sans doute lui dire d'aller se faire voir à cet instant précis. La Rose était totalement contre indiquée comme tout lieu public. Alors, ils prirent la direction des ruines. Au moins, elle savait qu'ils y seraient tranquilles et que des oreilles n'y traineraient pas. Sur le chemin Hedvig fut incapable de dire quoi que ce soit et se contenta de serrer par moment sa main un peu plus fort autour de celle de Leif.

Une fois arrivés, elle s'assura qu'il n'y avait personne et à cette heure-ci, l'endroit était bel et bien désert. Peu de traces de pas dans la neige étaient visibles. Elle lâcha sa main pour aller s'asseoir sur une pierre à l'abri d'un arbre, un des autres vestiges du lieu. se protégeant ainsi des fins flocons qui tombaient. Elle s'était toujours demandé à quoi l'édifice avait bien pu ressembler dans le passé. Elle l'invita à la rejoindre d'un simple regard et puis, elle le détourna vers l'horizon. Les falaises offraient des panoramas à couper le souffle, surtout pendant la saison hivernale. Les couleurs étaient délavées, la mer calme. On voyait peu d'animaux ces temps-ci. Le silence régnait lorsque le vent ne faisait pas chanter les branches d'arbres dénudées. Leif s'était montré très compréhensif, ne voulant pas la brusquer, mais il avait sans doute vu et compris que son silence n'était pas de bonne augure. Finalement, elle se décida à parler, resserrant par la même occasion ce qui lui servait de manteau. «  Je ne sais même pas par où commencer. »

Impatience. Dix lettres sous l’impulsion desquelles son sang bouillonnait, son cœur palpitait promptement contre son torse. Dix lettres le séparant de la femme qui hantait toutes ses pensées. Il se trouvait sur le pont du navire, observait les quelques mètres qui le séparaient de la terre. La veille, il avait prévenu son cousin que dès qu’ils déposeraient les amarres au port de Sulki, il s’absenterait, le temps de quelques heures, en prétextant une affaire importante. Tandis que les mots s’échappaient d’entre ses lèvres, il avait perçu la lueur curieuse dans les iris de Mats, qui n’avait cependant – et comme toujours – posé aucune question. Contrairement au reste de l’équipage, son cousin était conscient de son besoin de solitude, son besoin d’espace personnel, il ne l’interrogeait donc pas sur ses desseins. Leif lui en était fortement reconnaissant et, en y songeant, il se rendit soudainement compte que, s’il y avait bien quelqu’un à qui il pourrait se confier, il s’agissait de Mats. Cependant, ce temps n’était pas encore venu. Non, le temps était encore aux secrets, aux corbeaux mystérieux envoyés durant la nuit, quand le navire était endormi. Il lui en avait d’ailleurs adressé un quelques jours auparavant ; Hedvig était donc au courant de sa venue. Dans sa lettre, il lui avait promis de la rejoindre à la Rose de Fer dès qu’il aurait posé le pied sur la terre ferme. Soudainement, le jeune Karlsefni fut tiré de sa rêverie par un cri à sa droite. L’amerrissage était imminent, il quitta donc le pont et rejoignit le capitaine pour les dernières manœuvres.

Quelques minutes plus tard, les embruns du port s’écrasaient sur son visage, s’infiltraient doucereusement dans ses narines, laissaient un arrière-goût de sel sur sa langue. Et, alors qu’il s’apprêtait à prendre le chemin pour rejoindre la taverne, ses yeux tombèrent sur une silhouette familière. Sa Snjár. Sa Neige. Elle l’attendait là, seule, retirée. Il reconnut immédiatement ses cheveux clairs, si immaculés qu’ils lui semblaient faits d’argent. Un sourire étira le coin de ses lèvres, s’épanouit complètement sur ce visage si souvent fermé, et il s’approcha rapidement. L’enlaça durant de longues secondes, qui lui parurent trop courtes – même les jours lui semblaient plus courts en sa compagnie, c’était une des conséquences des sentiments qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Ne se formalisant pas, d’abord, du silence avec lequel elle l’accueillit, ce dernier devint pourtant beaucoup plus pesant lorsqu’il s’écarta pour observer son visage. Elle lui sembla inquiète. Ses yeux n’étaient-ils pas rougis, humides de larmes ? Il allait l’interroger, mais elle l’interrompit : « Il faut que... qu'on parle, c'est important. Dans un endroit plus calme. » Les notes douces de sa voix se répercutèrent à ses oreilles d’une façon trop menaçante à son goût. S’il n’avait pas l’expérience de son cousin vis-à-vis des femmes, il comprenait néanmoins que cette demande n’augurait rien de bon. Il se contenta cependant de son légendaire haussement d’épaules nonchalant, et la suivit.

Tout le trajet durant, il s’était concentré sur la tiédeur de la paume qu’il tenait dans sa main. Dans ce simple fait simple et incontestable. Elle avait accepté le contact sans broncher, cela le rassurait un peu. Mais, tant qu’elle ne lui aurait pas fait part de cet important sujet, son palpitant ne retrouverait pas un rythme raisonnable. Alors, il s’accrochait à ça. A leurs doigts entrelacés. Et puis, bientôt, il n’eut plus cette satisfaction. Hedvig s’en détacha, s’éloignant pour s’asseoir sur une pierre à quelques mètres de là. Il attendit quelques secondes avant de la rejoindre, profita de cet instant pour l’observer avec plus de précision. Mais ne trouva aucune réponse à ses questions informulées. Finalement, elle l’invita à prendre place à ses côtés. Il s’exécuta, s’apercevant que pour la première fois de toute sa vie, le silence le gênait. D’un regard, il la supplia de mettre fin  se calvaire. De prendre la parole. « Je ne sais même pas par où commencer. » finit-elle, enfin, par lui confier. Ce qui n’était certainement pas suffisant pour abréger le supplice qu’il subissait, mais il était touché de la voir dans cet état. Ses yeux scrutèrent encore une fois le doux visage, l’interrogèrent. Et il suivit ensuite son mouvement, s’abîmant dans la contemplation de l’horizon.

S’en voulant de l’avoir abandonné durant tout ce temps.

Il se racla la gorge, se tourna à nouveau vers elle. « Que s’est-il passé pendant mon absence ? » Comme il prononçait ses mots, il s’aperçut qu’il redoutait vraiment la réponse. N’était pas tout à fait certain de vouloir connaître la réponse.

« Que s’est-il passé pendant mon absence ? » Elle continuait de fixer l'horizon. Elle mit un certain temps avant de reprendre la parole. « Avec ce qui s'est passé pendant Jöl, tu sais, ce n'est plus plus pareil qu'avant. Les choses ne se sont pas arrangées. A la taverne, ce n'est plus pareil non plus. Et tous les jours, je vois d'autres sang-mêlés qui… enfin… je te laisse imaginer le calvaire que l'on subit. Je sais bien que je ne suis pas la plus à plaindre dans le fond. » Et c'était vrai. Ingrid était là si certains clients se montraient un peu trop hostiles. Mais le reste du temps, Hedvig n'était pas vraiment rassurée. Elle écoutait les discussions à la taverne et certaines n'auguraient rien de bon. Grim avait été mis en prison et Hedvig pensait qu'il n'avait que ce qu'il méritait. Si ses intentions étaient louables, elle ne s'était pas remise de la tentative de brûler la Rose et ses occupants, dont elle faisait partie, dont Leif avait fait partie aussi. Elle n'était pas prête de l'oublier. La boule au ventre, elle ne savait vraiment pas comment formuler ce qui lui brûlait pourtant les lèvres. Comme si la réalité refusait de s'échapper de ces dernières. « A cause de tout ça, ma.. mère a jugé bon de prendre certaines… de ses responsabilités. » Elle serra le poing autour de ce qui lui servait de manteau. La jeune femme avait toujours eu du mépris pour elle, mais à cet instant précis, elle la haïssait plus que tout au monde. Sa mère qui s'était moquée d'elle pendant tout ce temps. Loin de s'imaginer ce qui l'avait poussé à lui cacher la vérité pendant tout ce temps, ne lui ayant pas laisser la moindre chance de s'expliquer. Tout ce qu'elle voyait à cet instant, c'est qu'elle était passée à côté d'une autre vie, une vie bien plus confortable et où elle aurait pu s'épanouir bien plus. Le mal était fait et lui semblait irréparable. Elle avait toujours du mal à y croire et elle se demandait si sa mère ne s'était pas moquée d'elle.

Elle ne trouvait pas les mots. C'était le domaine de Leif, c'était lui était doué pour les choisir, pas elle. Sa nature peu loquace n'arrangeait pas les choses. « Tu sais que je n'ai jamais connu mon père. Et il était hors de question que j'aille le trouver. Un braell. Une vraie honte. Je n'en ai jamais eu l'envie non plus. » C'était là toute la contradiction qui régnait en elle. Elle voulait l'égalité des sang-mêlés et des sang-purs, mais les sans-pouvoirs restaient en dessous de tous. Ils n'apportaient rien aux sorciers, à part des malheurs, pour ceux qui en descendaient. Ils étaient des cibles faciles quand il s'agissait de les piller. Ils étaient assez stupides pour croire en Asgard. Pourtant, si Leif avait été un braell, peut-être qu'elle ne suivrait pas la pensée collective, cette hiérarchisation avec laquelle on leur bourrait le crâne dès leur naissance et qui décidait de leur vie. Consciente qu'elle s'égarait et tournait autour du pot, elle finit par pousser un long soupir. « En réalité, il ne s'agirait pas d'un braell. Ni même d'un sang-mêlé. » Voilà, c'était dit. Son ton était faible. Le pavé était lancé dans la mare, avec difficulté et même si tout ce que cela impliquait restait implicite. Son visage ne trahissait aucune émotion. Les larmes qui avaient failli s'échapper étaient oubliées, mais menaçaient toujours de réapparaître au moindre signal. Elle baissa son regard sur son autre main où quelques flocons venaient s'écraser pour disparaître aussitôt, ne résistant pas à sa chaleur corporelle. La neige tombait doucement. Finalement, elle trouva le courage de tourner la tête vers Leif, guettant une réaction de sa part. Ça ne pouvait qu'arranger leurs problèmes, et elle aurait du s'en réjouir. Mais elle n'y arrivait pas. Elle se sentait trahie au plus profond d'elle-même par celle qui lui servait tant bien que mal de mère. Elle avait l'impression qu'on lui volait aussi une partie de son identité. Une partie d'elle-même. Hedvig était confuse, tout se bousculait et rien n'avait vraiment de sens. Elle détestait sa vie, et pourtant elle s'en était accommodée. Elle n'avait pas eu le choix. Mais c'était aussi ce qui l'avait ainsi forgé. Bourrée de défauts mais capable de bonnes choses. Ça ne l'avait pas non plus empêché de rencontrer des gens formidables, le plus souvent bien plus humain que que nombreux sang-purs. Elle rêvait pourtant d'être de cette autre caste. La possibilité s'ouvrait à elle, mais elle était terrifiée, et la route serait longue. Elle ne se sentait pas le courage d'affronter tout ça. Mais peut-être qu'avec Leif à ses côtés, tout ça irait mieux. A cet instant précis, elle n'avait besoin que de savoir ce qu'il pouvait en penser. Elle guettait le moindre signe qui l'aiguillerait. Mais sa présence suffisait déjà à l'apaiser et il n'y avait que lui en mesure de le faire. Ils étaient si différents et si complémentaires à la fois. C'était là leur force.

Doucement, il acquiesça. Les souvenirs du jour de Jól se répercutèrent douloureusement contre les parois de son crâne. Ce jour-là, la Colère de Tyr avait subi bien des pertes, non pas matérielles, les runes l’ayant protégé des attaques des margygrs, mais d’une toute autre portée. Les pertes se comptaient en vies : les membres de l’équipage qui n’avaient pas suivi le capitaine s’étaient trouvés dans leur sillage mortel, et l’issue avait été fatale à bon nombres d’entre eux. Cependant, pire encore que ce qu’ils avaient découvert à leur arrivée au port, c’était les sensations de crainte et de désespoir, qui l’avaient envahi lorsque Hedvig avait quitté son champs de vision, qui le prenaient, aujourd’hui encore, violemment au cœur. Il abandonna néanmoins ces terribles résurgences, se concentra uniquement sur les paroles qui s’échappaient encore des lèvres de la jeune femme. « Et tous les jours, je vois d'autres sang-mêlés qui… enfin… je te laisse imaginer le calvaire que l'on subit. Je sais bien que je ne suis pas la plus à plaindre dans le fond. » Bien que coincé sur le knörr de son cousin, il imaginait pertinemment les scènes qu’elle lui décrivait implicitement. Il lui était arrivé d’être le témoin de certains esclandres de ce genre-là ; seulement, son sang étant pur, il ne pouvait que décemment imaginer ce qu’elle ressentait, et non comprendre comme il l’aurait tant désiré. S’il était pourvu d’une empathie plus grande que la plupart des Vikings de cette planète, il ne se vantait pas de comprendre tous les maux du monde, surtout pas celui-ci.

Le sujet prit lentement une nouvelle direction et, bien que la tension de la jeune sang-mêlé fût palpable, il se sentit rassuré lorsqu’il comprit qu’ils en viendraient à discuter de sa famille. Elle n’avait visiblement rien à lui reprocher, ce qui le détendit peu à peu. Un dernier souffle termina d’évacuer la pression accumulée par le silence profond, sur le chemin menant aux ruines. Il resta pourtant sur ses gardes. Hedvig semblait chercher ses mots, elle paraissait sincèrement émue du sujet qu’elle allait évoquer, comme s’il s’était vraiment déroulé quelque chose de grave. Il la pressa d’un regard encourageant. Ne savait-elle donc pas qu’elle pouvait tout lui dire ? Qu’il était prêt à tout entendre venant d’elle, qu’il n’y apposerait aucun jugement ? « Tu sais que je n'ai jamais connu mon père. Et il était hors de question que j'aille le trouver. Un braell. Une vraie honte. Je n'en ai jamais eu l'envie non plus. » Pour toute réponse, ses lèvres se pincèrent, il eut un bref mouvement de tête en signe d’assentiment. Et, peu à peu, une piste fit son chemin dans son esprit. Sa mère lui avait-elle donné plus amples informations au sujet de ce braell de père ? Était-ce les précisions le concernant qui la mettait dans un tel état ? Aurait-il été moins civilisé qu’il l’aurait pressée de tout lui avouer, de lancer la hache aussi fort et aussi loin qu’elle le pouvait ; elle se sentirait bien plus légère ensuite. Mais il ne voulait surtout pas l’écraser de son anxiété, de crainte qu’elle ne se braque et se ferme complètement. Après tout, là était son rôle : auprès d’elle, la soutenant, lorsqu’elle en éprouvait le besoin. « En réalité, il ne s'agirait pas d'un braell. Ni même d'un sang-mêlé. » Elle avait prononcé la phrase comme une sentence, d’une voix grave, comme si cette seule assertion aurait pu provoquer un nouveau Ragnarök. Un flegme qu’il ne comprit pas tout à fait puisque, à ses yeux, cette révélation signifiait la fin de tous leurs ennuis.

« Je ne suis pas certain de bien comprendre… murmura-t-il tout d’abord, se demandant s’il avait bien compris ce que sa phrase impliquait. C’est une bonne chose, non ? Toi et moi, nous pouvons… » Mais sa phrase resta en suspens.

Il ne se rendit pas immédiatement compte de son insensibilité. Toute sa vie, Hedvig avait grandi dans l’idée qu’elle était moins bien qu’une femme au sang pur, seulement parce que sa mère s’était unie avec un braell. Cette dernière connaissait parfaitement la vérité, néanmoins, et elle lui avait menti, oubliant que sa fille allait certainement vivre un véritable enfer. Lui était totalement étranger à tout cela ; si son père l’avait souvent malmené, cela n’avait été qu’à propos de sa trop grande empathie, sa passion pour l’écriture, et son dégoût pour les armes et les combats en tout genre. Hedvig, elle, se sentait certainement trahie. « Pourquoi donc t’a-t-elle menti ? » Et lui avait-elle seulement révélé le nom de son père ? Préférant ne poser qu’une question à la fois, il abandonna là les interrogations se bousculant sur sa langue. Il jeta un coup d’œil à la main de la jeune femme, qu’il recouvrit tendrement de sa propre paume dans un geste complice, et se concentra ensuite sur son visage. Fermé mais toujours aussi délicat.

« Je ne suis pas certain de bien comprendre… C’est une bonne chose, non ? Toi et moi, nous pouvons… » Oui, elle aurait du s'en réjouir. Mais tout n'était pas aussi simple. Avant qu'elle ne puisse répondre, il finit par la questionner à nouveau. « Pourquoi donc t’a-t-elle menti ? » « Je ne sais pas... Je ne lui ai pas vraiment laisser le temps de s'expliquer. Je ne trouve aucune raison valable, en y réfléchissant. » Hedvig était loin de s'imaginer la réalité des choses, et si elle l'avait connu, elle aurait été sans doute plus compréhensive malgré tout. Mais pour le demi-aveu de sa mère était suffisant pour semer la pagaille entre elles, dans leurs vies respectives. Pas à arranger les choses. La situation allait encore plus inconfortable qu'avant. « Mais j'ai beau lui avoir demandé, elle n'a pas voulu me dire son nom non plus. Alors je suis partie. Et je ne compte pas la revoir ce soir. Ni demain. Je crois qu'il va me falloir quelques jours avant de pouvoir l'affronter de nouveau. » Alors qu'il saisissait sa main, elle finit par se détendre un peu, se permettant de lui faire par de ses inquiétudes. « Je ne sais pas quoi faire. J'ai peur d'en parler aux autres, personne ne va me croire, tout le monde va la prendre pour une folie ou une menteuse qui cherche juste à se protéger et à protéger sa fille, par les temps qui courent. » Quand bien même elle avait eu l'ensemble des données de cette histoire, son vrai père pourrait très bien nier si elle devait aller le confronter à la réalité. Peut-être même était-il mort ? Et dans ce cas, le secret avait été emporté avec son dernier souffle. Et elle resterait officiellement toujours une sang-mêlée. Si sa mère espérait la protéger, elle se trompait probablement. Le calvaire serait toujours le même, peut-être encore plus difficile à vivre pour Hedvig, sachant qu'on lui avait volé une autre vie, probablement plus heureuse, et que celle qu'elle menait aurait pu changer depuis longtemps, si les sang-mêlés n'avaient pas mis le feu aux poudres.

Qu'est-ce que Svanhilde avait pu espérer en décidant de lui avouer tout ça ? Hedvig ne pouvait même pas espérer un avenir un peu plus heureux avec Leif. Elle ne se faisait pas beaucoup d'illusions. Leif pourrait aller au delà des exigences de sa famille mais elle n'estimait pas ça juste pour lui. Il n'avait pas à endurer tout ceci pour elle. Ses yeux trahissaient une certaine tristesse bien qu'elle voulait paraître détachée, et forte, comme elle avait toujours l'habitude de le faire, ce qui lui valait souvent d'être prise pour une personne froide ou hautaine. « Ca aurait pu être une bonne chose pour nous, mais j'ai la sensation que ça ne va pas vraiment nous aider. Pas en l'état actuel. Les Nornes s'amusent et ce n'est pas en notre faveur. Peut-être faudrait-il que l'on oublie tout ça et que l'on continue comme avant... Et puis... » Elle ne termina pas sa phrase, se perdant de nouveau, ne trouvant pas plus les mots. Son autre main abandonna son manteau et vint se glisser autour du bras de Leif. Elle posa sa tête sur son épaule. En dépit de tout ça, elle voulait aussi profiter de sa présence. Sa colère contre sa mère avait laissé place à une certaine angoisse, quant à leur avenir commun. Elle n'avait jamais trop aimé y penser mais elle y était obligée à cet instant précis.