Dans les profondeurs de la nuit, une femme hurle de douleur. Son cri traverse les murs de la bâtisse familiale et retentit au dehors, comme des milliers de femmes avant elle en Midgard. Elle hurle encore longtemps, quelques heures de dur travail, d'intense concentration, de douleur fulgurante...Elle a peur, elle a mal mais elle espère. L'hiver est rude cette année, il a fait geler les lacs, couvert la falaise de neige, figé les sapins dans la glace...Au creux de l'hiver, sur les côtes infestées de créatures plus dangereuses les unes que les autres...Il n'y a rien là-bas, une fosse aux trolls et rien d'autre...

Et pourtant, il y a des familles de sang-pur, des guerriers, des mages, des politiciens, tous des hommes durs et forts...Cette femme qui hurle se nomme Maelys, elle est l'épouse d'Angmar Egilstüd, un barbare du nord. Ils ont toujours vécu ici, enfin, c'est ce qu'ils disent, mais tout le monde sait pourtant qui sont les plus anciennes familles de Noregr...Les Egilstüd sont des sorciers qui ont toujours préféré cogner avant de poser des questions, se battre et mourir dans la gloire, voilà leur credo. Angmar est l'ainé d'une fratrie de trois garçons, les deux plus jeunes ont déjà des fils, deux chacun. Mais l'ainé...Il n'en a toujours pas, il n'est toujours pas capable d'en engendrer un...Ils sont tous là, ils sont tous réunis dans cette maison, les dix membres de cette petite famille...

Jusqu'à ce que les cris de Maelys s'arrêtent, jusqu'à ce que ce soient les pleurs d'un nourrisson qui retentissent dans l'air glacé. Le premier fils d'Angmar crie, comme tous les nouveau-nés avec la force de ses petits poumons. Il n'est pourtant pas ce qu'attendaient tous les membres de la famille, il n'est pas ce petit bout d'homme fort qui devait devenir un puissant guerrier, comme ses cousins et ses oncles. Il a l'air malade, il a l'air trop petit, ils savent tous qu'il ne sera jamais comme eux...Ils le savent tous, mais Angmar a déjà eu tellement de mal à engendrer ce petit...Une semaine pour se poser la question, une semaine pour peser le pour et le contre, une semaine pour savoir si cela vaut le coup, une semaine pour essayer de deviner si un autre fils va arriver...Et au bout d'une semaine, aucune réponse à toutes ses questions, Angmar n'a pas beaucoup de choix possibles...Il sera un Egilstüd...

Des années ont passé, des mois terribles et lourds qui ont vu les enfants grandir et se développer. L'ainé Aerys demeure toujours plus petit que son cadet, Aeron, mais ils se haïssent autant que si ils étaient ennemis, de sang différent. Et pourtant, ils sont frères, de sang-pur tous les deux et bientôt l'ainé partira pour Dürmstrang alors que le cadet attendra une année avant de l'y rejoindre. Cela pose-t-il un problème ? Oui, parce qu'Aerys ne représentera jamais le clan, il ne sera jamais chef de la famille après son père, à peine est-il un fils. Quand Aeron est venu au monde, Angmar s'est demandé si se débarrasser d'Aerys n'aurait pas été judicieux. Il n'a pas pu, contraint par son épouse de garder son ainé, mais ce n'est pas l'amour qui l'étouffe cependant...

Entre les frères, la rage est féroce, de bagarres en joutes verbales, il n'est pas un moment où ils parviennent à s'entendre sans se haïr au moins un peu. Aerys n'en souffre pas, il a bien d'autres chats à fouetter, bien d'autres sujets de douleur et la haine d'un frère n'est qu'un détail parmi tant d'autres, parmi les moqueries de son clan, les railleries des habitants, les injures des passants...Et ce n'est qu'un petit bout d'homme, pas encore treize ans. Pourtant un jour, il partira, il ira à Dürmstrang et oubliera tout ce qui a subi ici, quand il sera un vrai sorcier de légende...Le labyrinthe se trouve encore entre lui et la légende, une transition, un moyen d'oublier tout ce qu'il a vécu peut-être...?

Mais à sa grande déception, il n'y a eu là-bas, au-delà du labyrinthe, que le perpétuel renouvellement de ce qu'il a toujours vécu à Hol Troll...Les cris, l'angoisse, les châtiments qu'on inflige aux plus petits que soi...Sans oublier cette balafre, qui lui vaudra des surnoms qu'il voudrait par-dessus tout oublier. Les Vikings sont fiers et aiment leurs plaies, celle-là aurait pu donner quelque réconfort à Aerys si il n'avait pas déjà été si risible aux yeux de tous. Il vaut bien mieux se consacrer à l'étude des l'astronomie, de quelques sortilèges et des potions. Mais il n'est pas aussi doué qu'il aurait voulu, entrer dans la légende semble être chose perdue et définitivement hors d'atteinte...

Voilà enfin une partie intéressante de l'histoire, un passage où le personnage central va enfin apparaitre...Vous avez cru que c'était Aerys ? Vous avez été bien sot, il est un outil, pas une finalité. Et au lieu de raconter une histoire que je connais déjà par cœur, je vais enfin pouvoir parler de ce qui m'intéresse vraiment. Moi, Svadilfari, suis né pendant un âge très lointain, un âge qui ne passionne pas les foules. Je tire mon nom tout droit des mythes des mages ancestraux, je suis moi-même un peu un mythe aux yeux de ces barbares des terres gelées, ils préfèrent les mots aux armes enchantées...Ils sont loin d'être aussi intelligents que ce qu'ils veulent croire. Heureusement d'ailleurs, si ils avaient été malins, ça se saurait...Mais voilà comment je suis arrivé dans l'histoire.

Il venait de sortir de l'école de magie, il avait eu un diplôme, après tout, il avait tout de même travaillé et le méritait. Et il était rentré à Hol Troll, dans la demeure de sa famille, où ses oncles et son père vieillissaient, où ses cousins revenaient de leurs aventures, où sa mère attendait le retour de ses fils. La seule à aimer également Aerys et Aeron, sans faire de différence, sans préférer le plus jeune...Il rentra chez lui, son visage impassible scrutant les bâtiments de la ville. Était-ce bon de rentrer chez soi ? Il ne trouvait pas, mais il fera avec bien entendu...Quelques journées passèrent, il n'avait rien à faire et regardait simplement le monde tourner. Ce que son père trouvait absolument détestable, comme tout ce que faisait Aerys...Alors il quitta la ville, quelques jours à peine, mais cela suffit à changer sa vie. Enfin, c'est ce que j'aime à penser.

Il était dans cette grotte sordide, quelque part sur les terres des trolls. Il avait espéré que ramener quelques trophées pourrait l'aider à se faire apprécier de son père, à gagner sa confiance en dépit de tout ce qu'il pouvait penser de son fils ainé. Et pourtant...Il n'y avait rien à l'entrée de cette grotte, quelques os rongés, datant de plusieurs mois, des traces anciennes d'activités trolls, mais rien qui n'annonça un trophée en perspective. Il était déçu, c'était indéniable, et pourtant pas vaincu, puisqu'il s'aventura plus loin dans la grotte, peut-être que ses habitants s'étaient réfugié dans les profondeurs...Ce qu'il ne savait pas encore, c'était que j'avais fait partir les trolls qui vivaient là...Ces brutes avaient commencé à ronger ma garde...

Il s'aventura dans les boyaux rocheux, une faible sphère de lumière flottant non loin de lui pour éclairer les ténèbres. Les murs étaient marqués de coups de griffe, on y voyait même quelques vieilles peintures rupestres. Mais plus il avançait, plus l'odeur des trolls était présente, tout comme celle des cadavres qui avaient pourri ici un à un, rongés progressivement par les énormes dents des monstres. Avait-il peur ? Il ne semblait pas, il avait vu le labyrinthe de Dürmstrange après tout, il était beaucoup plus dangereux qu'un petit troll esseulé dans une grotte obscure...Et c'était des plus intéressants...

*Par ici...*

Il tourna en tout sens, se demandant d'où provenait cette voix, qui pouvait bien être en train de lui parler. Il était nerveux, il était maladroit, mais c'était la seule personne à être venue ici au cours de ces derniers trois siècles. Il était hors de question de faire la fine-bouche...

*Viens par là, tu n'es plus très loin...*

Il paniqua sans doute quand il comprit que la voix ne venait de ses oreilles, mais directement de son crâne, petit don que je possèdais seulement quand aucun humain n'était lié à moi...Il disparaitrait aussitôt qu'il aurait posé la main sur moi, c'était tellement dommage...Et puis tout d'un coup, il buta contre ma lame, un bruit de ferraille retentit, le bruit du métal rapant contre des pierres, au milieu des os et des déchets des trolls...Il hésita avant de m'attraper. Ce moment-là était toujours un des plus marrants. Quand le porteur prenait conscience de ce qu'il avait entre les mains, lorsque nos deux esprits se touchaient pour la première fois, il savait ce que j'étais, il comprenait tout ce que je représentais...Certains craquaient totalement, j'en avais vu perdre totalement la raison...Mais pas lui, aussi petit soit-il, il avait encaissé tout cela...

"Eh ben n'ais pas peur, je vais pas te manger."

Parler à haute voix était la seule chose que je pouvais faire pour communiquer avec lui, mais ce n'était sans doute pas la meilleure des approches...Il sursauta et me laissa tomber, heureusement que je n'avais pas mal...Il nécessiterait sans aucun doute de longues heures de discussion...

Les années ont passé, maintenant que fait-il ? Il vit à Skuli, il travaille là. Il a une maison et une boutique, il fait très attention à ce qu'il fait, à ne pas que l'on me trouve...C'est étrange d'ailleurs, il a une vie formidablement ordinaire, il a laissé sa famille derrière lui, bien qu'il en porte le nom pour qu'on ne l'embête pas avec ces histoires de sang...Pierriste, voilà ce qu'il fait, un travail de précision et de concentration...Pas de femme, pas d'enfant, juste un frère excessif qui revient parfois s'en prendre à lui, juste le temps de s'amuser et de donner des nouvelles de leur mère...Qu'y a-t-il d'autres à dire ? Pas grand chose en fait, juste qu'il semble heureux, c'est déjà bien pour lui. Mais comment savoir ce qui va lui arriver par la suite ? Moi en tout cas, je m'ennuis depuis toutes ces années, à rester au fourreau...