Ainsi résonne l'écho infini des montagnes

Elle avait plongé les yeux dans l'astre brûlant englouti par les flots. Les derniers rayons venaient dans ses prunelles faire écho aux flammes qui dévoraient son âme. Le vent marin rabattait devant son visage les mèches folles de sa chevelure, et des perles d'eau de mer formaient sur ses joues des larmes brûlantes. Le sommeil prendrait bientôt possession d'elle, mais alors que les ombres menaçantes de la nuit s'emparaient du monde, elle ne pouvait rater les derniers instants de vie du soleil. Ainsi, lorsque la mer aurait refermé sur lui ses flots tumultueux, et qu'elle aurait vomi la face ronde de la lune au milieu du cosmos, Damara emporterait derrière ses paupières closes, scellées, ces derniers morceaux d'humanité, et la chaleur de ces flambeaux la réchaufferait au creux de la nuit alors que, tremblante, elle attendra l'aube avec ferveur. Damara Raudi n'avait peur de rien, il en allait de son honneur et de sa dignité. Elle n'avait peur de rien, si ce n'est du noir et de la nuit.

Elle avait emmitouflé son corps maigre dans la couverture en peau de loups que son oncle lui avait ramené de son dernier raid. Le feu du foyer faisait vibrer ses yeux noirs comme la nuit, alors qu'elle les levait vers Batram, et qu'elle ramenait le pelage sur son visage. A l'orée de son nez, c'est comme si mille odeurs venaient soudain s'emparer d'elle. Des odeurs encore inconnues, mais elle savait, elle, qu'un jour, elles seraient plus que quelques grains de poussières perdus sur une peau encore humide d'eau de mer. Elle s'imaginait, la jambe ferme et le pied agile, le corps tendu vers l'horizon, alors que sous elle défileraient les mers et les océans. Shieldmaiden, murmurait-elle dans son sommeil. Femme-guerrière, psalmodiait sa mère alors qu'elle gravait sur ses poignets des runes protectrices. Les femmes de sa famille savaient. Elles voyaient brûler dans ses yeux la flamme de la Guerre. Ces yeux-là, elle les plante désormais sur la haute stature de son père, sur ses cheveux hirsutes et sa barbe emmêlée, où perlent déjà des gouttes de björr. « raconte-moi. » Le rire gras de Bartram étire sur les lèvres de sa nièce un sourire timide. « la môme, elle te laisserait même pas le temps d'honorer ta femme correctement ... » Une quinte de toux, un éclair de malice. « ... quoi que, d'après ce qu'on dit ... » La choppe siffle à travers la pièce, mais il suffit d'un ordre sec, incisif, de Berit, pour l'empêcher de s'écraser contre le mur. « bartram, on manque de bois. dagmar, solveig vient à peine de s'endormir, encore un geste de ce genre, et je t'étripe. » Le silence s'installe, tandis que Damara grimpe sur les genoux de son père. « bon la môme, je commence où ? » « du début. » « ben voyons. écoute attentivement alors. C'était la dernière nuit de mörsugurn,  une nuit, une nuit si profonde, et la tempête faisait rage au-dehors, si bien qu'entre les hurlements de ta mère et le vent qui menaçait de déraciner yggdrasil, c'était comme si le ragnarök s'apprêtait à s'abattre sur le monde. mais rien n'aurait pu vous arriver, à ta mère et toi, parce que je veillais, à l'entrée de la maison, puisque la vieille accoucheuse m'avait empêché d'assister à la délivrance. » Le rire étouffé de Berit interrompt son mari, et Damara croit reconnaître sur le visage de son père une moue de vexation. Bien sûr, elle connaît l'histoire par cœur -comment pourrait-il en être autrement, mais à chaque fois, Dagmar tente d'imposer sa très noble version des faits. Et c'est Berit qui, à chaque fois, rétablit la vérité. « tu n'étais pas en train de veiller vaillamment, mon amour, tu étais en train de descendre de ces tonneaux d'alcool de pommes que tes hommes et toi aviez ramené des côtes normandes. tu me trouvais trop bruyante, et tentais de noyer mes cris dans l'alcool. même si on sait toutes ici que tu étais juste terrifié pour moi, mais tu ne l'aurais jamais avoué. » La belle Berit a quitté son couteau de cuisine et se trouve désormais accroupie devant sa fille, qu'elle nourrit de morceaux de pommes. Elle tente de garder un visage emprunt de sévérité, mais la mine renfrognée de son époux fait naître sur ses lèvres un sourire complice. Le récit n'a rien de drôle pourtant. Elle se rappelle encore sa peur, cette nuit. Sa main s'égare dans les boucles rousses de son aînée. « ton père avait tellement bu que lorsque ce fut terminée, il fut même incapable de te prendre dans ses bras sans risquer de te faire chuter. je l'ai envoyé se coucher. je n'avais pas souffert pendant tant d'heures pour qu'il t'abime déjà ! » « j'étais totalement maître de mes moyens, pourtant. » « certainement, et c'est pour ça que lorsque je me suis réveillée quelques heures plus tard, j'ai trouvé ton berceau vide, et ton père et ton oncle enfoncés jusqu'à la taille dans la neige, alors qu'ils tentaient de rejoindre la forêt. » « c'est vrai que bartram était pas bien vaillant non plus. mais bon, il était encore jeune, pas même encore à dürmstrang, ça peut peut-être l'excuser. » « ça n'excuse rien. je me souviens encore de vos voix troublant le silence, alors que la tempête était tombée : "tu vas voir, c'est une raudi, les loups, elle va en faire qu'une bouchée" » Damara rit, parce qu'elle aime lorsque sa mère imite la voix bourrue de son père. « il a fallu toute la sagesse des femmes de cette famille pour leur faire faire demi-tour ... ne ris pas, damara, on aurait pu te perdre, cette nuit-là. » Le rire s'éteint, la flamme de joie qui brûle dans ses yeux est soufflée par la conclusion sèche de sa mère. Elle sait que c'est vrai. Elle a déjà vu des hommes sous l'emprise de l'alcool. Elle ne doute pas que sans l'intervention de sa mère et ses tantes, elle aurait rejoint Helheim dès les premières heures de sa vie. Mais on ne lui laisse pas le temps de penser à ce destin funeste, car déjà la poigne ferme de son père la relève, et l'oblige à lui faire face. « quoi que dise ta mère, damara ... tu es une raudi, et les loups, tu n'en aurais fait qu'une bouchée, car tu ne crains rien. » Damara ne répond pas, baisse ses yeux flamboyants. Les lèvres de Berit se pincent, mais elle ne dit rien non plus. Elle sait, mais elle ne dit rien.

C'est le hurlement des loups qui la réveille. Ils résonnent au creux de sa tête, joue avec son esprit. C'est à cause d'eux, si elle craint tant la nuit. Tous ses ténèbres, ses secrets, toutes les parts d'ombre de son histoire, s'incarnent dans les cris de ces loups sauvages. Elle passe une main sur son visage, chasse le sommeil. A-t-elle pleuré ? Non, ce n'est que la mer qui a déposé sur ses joues ses embruns. Doucement, sa respiration se calme, elle se calque sur la danse des vagues qui s'abattent sur les flancs du navire. Elle n'a rien à craindre. Il n'y a pas de loups en pleine mer. Que la nuit est noire, pourtant. A l'avant du knörr se balance une lumière, et Damara voit se découper en ombre chinoise la silhouette de son capitaine. Elle se rallonge aussitôt, s'enroule dans le carré de bure qui protège son corps de l'eau salée et de l'humidité. Près d'elle, la respiration contrôlée d'Aska la berce. Mais elle ne peut pas se rendormir tout de suite. Il lui faut d'abord réfléchir. Dans quelques jours, elle va être de retour chez elle, en même temps que son père. Les poches pleines de son butin, les mains rougies par le sang. Fière. Combien de fois a-t-elle déjà imaginé la scène ? Beaucoup trop à voir la façon dont celle-ci s'imprime sur sa rétine, dès lors qu'elle ferme les yeux. L'instant est emprunt de solennité. Ils se feront face, seuls, tous deux, dans la salle commune (alors qu'elle sait bien, pourtant, qu'ils n'arriveront jamais à être seuls dans cette pièce, et qu'il faudra bien s'exiler dans la forêt. mais peu importe). Il faudra que son père soit sobre, et dans un état d'esprit conciliant, ce qui ne devrait pas être difficile. Mais le sera-t-il toujours, lorsqu'elle commencera à réciter son discours, son argumentaire, appris par cœur durant les longues heures de voyage ? « j'ignore encore aujourd'hui si je me marierai un jour, mais dans le doute, je veux que tu m'assures aujourd'hui que ce seront mes sœurs et moi-même qui hériteront de tes biens à ta mort, et non pas d'hypothétiques époux. » Est-ce seulement possible ? Que sait-elle des lois de successions des vikings, après tout. On lui demande de se battre et de prospérer, pas de réfléchir. Mais elle se fait vieille, et tout comme sa sœur Asta, elle bouleverse l'ordre établi en n'étant toujours pas mariée. C'est sa vie qu'elle dédie au pillage et à la navigation. Shieldmaiden, le mot est comme un murmure, dansant près de son oreille. Shieldmaiden. Elle connait des femmes qui ont été guerrières avant de ranger armes et bouclier pour devenir épouses et mères. Damara mourra l'arme au poing et le sang aux lèvres. C'est ce que son père a fait d'elle, dès le jour de sa naissance. Il lui faut l'accepter, désormais.

Les ombres grandissent au crépuscule

« raconte-moi encore. » La voix d'Elin n'est qu'un murmure dans la demeure endormie. Damara sourit, une mèche des cheveux de sa sœur vient lui caresser la joue. Mais dans la pénombre, cette mèche pourrait tout aussi bien lui appartenir. Elle enroule autour de son doigt la mèche rebelle, d'un flamboyant roux Raudi. Elle soupire, imperceptiblement. Par où commencer ? « dürmstrang, c'est l'enfer. » Voilà, c'est dit. Autant continuer. « pour moi, ça a été l'enfer, mais ça ira mieux pour toi, parce que toi, tu es intelligente. tu auras besoin de ton intelligence, surtout parce que tu t'appelles raudi. les gens, ils sont persuadés qu'on est tous des brutes sans cervelle. papa est une brute sans cervelle, je suis une brute sans cervelle et asta ... disons qu'asta s'en sort déjà mieux que moi. » Par dessus l'épaule d'Elin, Damara croise le regard d'Asta, mais sa cadette ne dit rien. Les filles, elles savent tous ce que ça veut dire, que d'être la fille de leur père. Alors on en parle le soir, lorsque les lumières sont éteintes, mais jamais à haute voix, parce qu'on est des Raudi, et on devrait pas s'en faire, de ce que pensent les gens. « peut-être que dans une génération ou deux, on réussira à rejoindre le thing. solveig, surtout, on devrait réussir à faire quelque chose d'elle. » « oui, mais dürmstrang alors ? » « à dürmstrang, l'important, c'est la labyrinthe. mais on en parle pas trop, parce que c'est très personnelle, comme expérience. » « ça ira mieux pour toi aussi, après, parce que maman arrêtera enfin de te prendre pour un changelin, si tu ne te fais pas rejeter. » « la ferme solveig, lui dit pas des trucs pareils ! ce que tu dois retenir, c'est qu'il faut en sortir le plus vite possible. y rester le plus longtemps possible, ça fera pas de toi une raudi plus que n'importe laquelle d'entre nous. ne te surestime pas, et ne te sous-estime pas non plus. j'y suis restée neuf jours, parce que j'en étais capable. et durant les cinq ans que j'ai passé à dürmstrang, l'étiquette de brute sans cervelle ne m'a jamais lâchée. y a des gens qui sont faits pour la guerre, et d'autres qui sont faits pour les études. ta place est parmi ceux-là. y a déjà eu des raudi plus intelligents que d'autres. regarde solveig. maigre comme un clou, incapable de lever une hache sans l'aide de la magie, et pourtant ... p't'être bien que je lui confierai ma vie. alors quand tu seras à dürmstrang, écoute-là bien, elle t'aidera. » Le silence s'installe, les respirations se font plus bruyantes, Damara glisse dans le sommeil. La voix d'Elin la réveille, à peine. « mais si j'ai un problème avec quelqu'un, est-ce que tu pourras venir lui arracher les yeux comme tu l'as fait avec ... » « oui ... enfin non, peut-être. attendons de voir quels problèmes tu as, avant de reparler de ça, d'accord ? »

Mais moi aussi je t'ai loupée cousine  .

J'adore ce PV, du Raudi dans toute sa splendeur   ! Il nous faudra un lien qui tue !

Damara Raudi a écrit:

Eric : En effet, ils ont quasiment le même âge, y a moyen qu'on se trouve un lien sympa, du genre ELLE TE DEFONCE LA GUEULE A DÜRMSTRANG PARCE QUE T'ES PAS FICHU DE GAGNER UN DUEL AVEC TON BOUT DE BOIS. Je trouve que ça pourrait être un lien sympa