Tout avait dégénéré. Et il ne se rappelait même pas comment.
Il savait seulement que pour le moment, il était en train d'écraser son poing sur le visage de Bartram Oddi, avec toute la mollesse d'un homme qui avait bu beaucoup trop d'öl mêlée à la conviction idiote de celui qui avait été blessé sans son honneur. Parce qu'il l'avait été, qu'on lui en soit témoin ! Ce braell d'Oddi avait insulté... Astrid, en premier, il en était certain. Il avait insulté Astrid et il avait répliqué avec quelque chose de tout aussi élégant (probablement lié à sa femme, ses nombreux probables bâtards, quelque chose comme ça), qui avait mené à une cascade d'insultes. De menaces. D'empoignades. Et finalement, de coups, au milieu des cris et des paris qui se faisaient autour d'eux.

Mats ne se battait pas souvent. Presque jamais, en réalité. Il n'était pas un homme à cela.
Mais là, c'était nécessaire.

Quelqu'un qui avait emmené sa chope de bière avec lui la renversa, sans doute touché par un quelconque coup venant de quelqu'un, et il glissa dessus. Il était Jarl Catastrophe, il devait ÉVIDEMMENT glisser sur de la bière et, en tentant de se rattraper pour ne pas tomber lamentablement au sol, tomber sur Bartram Oddi – déchirer sa chemise – se râper les coudes au sol – donner un coup de genou au genou du Oddi (et donc lui-même se faire mal, parce que les genoux, c'est sensible) – et... et se retrouver, momentanément, en position de faiblesse, les boucles dans la bière. «CRÈVE, ESPÈCE DE TROLL DES MONTAGNES ! T'es pas plus capable de frapper que de mettre ta femme !»

Dans cette histoire, lorsqu'il s'expliquerait plus tard à sa femme/ses sœurs/sa fille (rayez la mention inutile), Bartram clamerait haut et fort qu'il n'avait fait que défendre l'honneur de la famille. Mais à vrai dire, alors qu'il se prenait le poing de Mats Karlsefni dans la gueule, il avait du mal à se souvenir si c'était bien lui qui avait attaqué en premier, ou s'il avait titillé la patience du capitaine de la Colère de Tyr. Au final, ça n'était pas la question. La question c'était : ils se battaient, et il fallait à tout prix en sortir vainqueur.
Il avait (trop) bu, mais ça ne l'empêchait jamais de jouer de ses poings. Surtout pas pour la belle gueule de Karlsefni.

Le nez en sang, la tête un peu pleine de choses pas claires, Bartram assista donc à la descente en Helheim de Karlsefni quand ce dernier glissa, se raccrocha à lui, lui déchira sa chemise -sa belle chemise ! Sunhilda allait le fracasser- et se retrouva par terre, la tête dans la boue et la bière. Et l'insulta, par dessus Bifröst. Ça allait pas se passer comme ça.
Son genou le lançait un peu, mais il était un viking, alors il allait survivre. Et en passant, il allait aussi défoncer Karlsefni, histoire de lui apprendre la vie, à ce jeune freluquet à bouclettes qui ne faisait même pas peur à un braell. « AH OUAIS, PAS CAPABLE DE TE COGNER ?! » Et bim, un coup de tatane dans le ventre du gueux à terre. Sauf que l'alcool aidant (autant la bière renversée que celle engloutie), Bartram glissa à son tour pour tomber lourdement sur Karlsefni. Et lui coller un coup de poing supplémentaire dans les côtes, tiens.

Un bref instant de répit permit à Bartram de lever les yeux, deux secondes à peine, pour constater qu'autour d'eux, c'était un champ de bataille. Et puis, il revint à Karlsefni en se redressant d'un bond (ou presque), et se remettre en position de combat : la lutte à mains, rien de mieux quand on est fin fait. « VIENS TE BATTRE, SI T'ES UN HOMME ! »

Il ne se rappelait plus de grand-chose. Peu soucieux du détail en temps normal, la folie qui semblait s’être emparée de la taverne n’avait rien arrangé à son manque d’attention ; il ne se rappelait pas avoir bu autant que ce que sa vision déformée témoignait, pas s’être échauffé autant que la rage bouillonnante lui brûlant les entrailles lui soufflait. Avait-il été celui qui avait ouvert les hostilités, encouragé par les disputes qui éclataient de part et d’autre de la galerie ? D’ordinaire, il tentait d’éviter de se retrouver confronté au bourreau, qui dégageait un parfum de mort à lui hérisser les poils de barbe ; mais ce jour-là, c’était Vyro qu’il avait empoigné, Vyro à qui il crachait sa haine, Vyro avec qui il s’était jeté dans un corps-à-corps sanglant. Il avait peut-être insulté sa sœur le premier. Vyro avait peut-être commis l’affront d’allier Kaja à un troll. Mais la logique avait depuis longtemps quitté sa cervelle et, dans un hurlement de rage, il avait envoyé son poing s’écraser dans la figure du bourreau qu’il prenait d’ordinaire soin d’éviter –surtout depuis qu’il avait la merveilleuse tendance à lui coller au train en psalmodiant une reconnaissance éternelle. Pour couronner le tout, le propriétaire de la Hutte des Horreurs était un sang impur. Et Sejer évitait plus que tout de se mêler à cette catégorie de la population.

Il ne se rappelait pas non plus comment ils avaient atterri près de la rivière ; ce qu’il savait, c’est qu’il avait encore entre les mains une des chaises de la taverne. La seule Lokabrenna qui ne le haïssait pas complètement allait bientôt  changer d’avis en constatant l’effectif réduit du mobilier. « Sale chien de braell ! Va crever en Hellheim avec les tiens ! » La chaise avait volé en direction du sang-mêlé ; mais, poussé par un des deux bouclés qui joutaient comme deux pucelles, surtout bien entamé par les choppes en trop avalées à la Rose de Fer et de trop mauvaise foi pour reconnaître sa propre maladresse, elle n’avait pas atteint son but. A la place, elle avait atteint Asta Raudi.

Doublement dans la bouse de troll, il l’était jusqu’au cou. Mais crétin comme il était, il avait choisi de foncer sur Vyro pour tenter de le projeter à terre, en l’attrapant par le col, les joues rouges de colère, sans plus se soucier des autres combattants, d’Oddi, de Karlsefni, ou même de Raudi. « Va crever en Hellheim, et emmène avec toi ta putain de sœur ! », répéta-t-il en incluant une nouvelle donnée dans leur accroc féroce. Une donnée qui lui vaudrait sans aucun doute une mort lente et douloureuse.

Par quel mage ancestral devait-il jurer, pris dans la folie ambiante de cette bagarre à laquelle il ne souhaitait pas prendre part ? Il ne savait plus comment ça avait commencé. Il était tranquillement installé à sa table habituelle dans la Rose de Fer lorsqu'une insulte avait explosé, résonnant contre les murs avec la férocité du rugissement d'un dragon. L'instant d'après, une bataille éclatait. Il n'avait rien vu venir. La minute suivante, la tenancière de la taverne mettait tout le monde dehors, refusant de voir sa précieuse salle ravagée par une baston.
C'est pourquoi Vyro, prit entre deux feux follets de bagarreurs hargneux, tentait d'éviter les coups qui fusaient plus vite que les conneries habituelles des Oddi.

Quand on parle du simplet ... Il aperçu, un peu plus loin, Bartram Oddi en personne, qui se battait avec un homme dont Vyro ignorait l'identité. Le capitaine du prestigieux La Pute Borgne semblait s'en donner à coeur joie, de frapper comme si Thor lui-même l'animait. Il fallait cependant admettre que c'était là le seul talent que l'on pouvait lui reconnaitre, en dehors de sa propension légendaire à aller visiter les jupes qui n'étaient pas siennes ... Il se baissa, juste à temps pour éviter un coup de poing mal envoyé. Abrupte, il repoussa l'idiot dans la bataille et le laissa se débrouiller avec la personne qu'il venait de bousculer, n'ayant absolument aucune envie de gérer ce genre de conflit. Son domaine à lui, c'était la torture. S'il savait se battre, il ne le faisait jamais sans bonne raison.

Comme si le ciel l'avait entendu, sa raison arriva par le biais d'un hurlement furieux « Va crever en Hellheim, et emmène avec toi ta putain de sœur ! » Le sang se glaça dans ses veines, à l'instant même où il reconnu son adversaire désormais tout désigné. Un Utanlands. Ceux là, il leur trouvait une réputation tout à fait discutable à celle des Oddi. Des gens stupides, simples d'esprit et de visions particulièrement étranges. L'injonction qui venait de passer les lèvres de Sejer en était l'ultime preuve. Tout le monde, à Skuli, savait qu'il ne fallait pas toucher à la soeur du bourreau des Heill. Tout le monde. Y comprit l'imbécile bouclé qui lui fonçait dessus. La nature folle de Vyro refit surface à la seconde où il réceptionna l'Utanlands contre son corps massif. Il se retrouva soulevé par le col mais qu'à cela ne tienne. Il enfonça son poing fermé dans l'abdomen mou et rembourré de son adversaire, lui coupant le souffle et se libérant au passage. Plus furieux que Hel et Thor réunis, la rage magique menaçant de se libérer, il grinça entre ses dents serrées « Sale chien d'Utanlands, je te ferais ravaler ta langue après te l'avoir arraché à mains nues ! » Carrant ses jambes dans le sol, il écarta les bras, prêt à la bagarre. Il était tellement fou de rage qu'il n'avait pas pensé à dégainer une des multiples armes qu'il trimbalait toujours avec lui. Il allait en découdre avec Sejer à mains nues, pour égaliser les chances.

Un peu sonné à cause du coup de poing magistral du bourreau, l'Utanlands semblait pourtant reprendre du poil de la bête et se préparer à la bagarre. Autour d'eux, les cris, les injures et les grognements essoufflés résonnaient dans l'air. Ici et là, des vikings rejoignaient la poussière, aussitôt accompagnés par leurs assaillants prêts à en découdre à même le sol. Au centre de cette joyeuse foule de viking, le seigneur Oddi et son assaillant menait le mouvement. Par Odin, qu'il était stupide, cet homme. Sejer Utanlands se redressa finalement mais avant qu'il n'ait le temps d'esquisser un geste, Vyro fut déséquilibré et manqua de tomber.

Un poids inconnu venait de s'ajouter à la lourde charge d'arme qu'il traînait déjà. Une masse humaine et douée de parole, puisqu'un cri résonna juste à côté de ses oreilles, furieux et déterminé « Il est à moi ! Utanlands est à moi ! Sale chien avec ta putain de chaise! » Il reconnu la voix, pour l'avoir déjà entendue maintes fois dans la taverne de la Lokabrenna. Aussi rousse que son sang, la Raudi s'agrippait à lui d'un air bien décidé, réclamant son adversaire. Mais il était hors de question que Vyro laisse passer l'insulte sur Hella de cette façon. Brutalement, il se pencha en avant, en se redressant tout aussi vite, il renvoya Asta en arrière, les quatre fer en l'air. Il n'attendit même pas qu'elle retombe. D'un ton hargneux, sans cesser de faire face à Sejer, il lança « Attends ton tour, Raudi ! Il a osé insulter Hella, il va tâter de ma fureur ! »

Autour d'eux, la bataille faisait toujours rage. Un oeil extérieur aurait pu croire qu'il s'agissait d'une prise de guerre, qu'un clan adverse était venu jusqu'à Skuli pour le clamer sien. Mais non, il s'agissait juste des habitants qui, sans raison particulière, se foutaient sur la gueule de toutes leurs forces. En jetant un rapide regard autour de lui, Vyro nota que les alliances étaient très rares. Chacun se battait pour son compte sans se soucier des autres. Il reconnaissait bien là l'esprit des Vikings ... Tout comme il savait déjà que dès la fin des festivités, tout le monde rentrerait bras dessous bras dans la Rose de Fer pour discuter autour d'un pichet d'hydromel ou d'une chope de bière. Parfois, son propre peuple le dégoûtait.

Il avait visé juste. En voyant la lueur de  rage embraser le  regard glacial de son adversaire, il sut qu’il avait visé juste ; et cette satisfaction de le voir sortir de ses gonds perdura même lorsque son coup de poing le plia en deux. Il connaissait par cœur les bagarres et les coups, et il ne fut que plus surpris par la force de ses phalanges, car d’ordinaire,  il se redressait plus vite, et fonçait à nouveau dans la bataille. Mais le coup s’était propagé jusqu’à ses reins, en une onde de choc qu’il n’avait rencontré que peu de fois, lorsqu’il s’était retrouvé confronté à du magicien de haut niveau. Voilà pourquoi il détestait également se mêler aux sangs impurs, lui qui avait difficilement supporté les cours de sortilèges de Dürmstrang et ne faisait usage de sa magie qu’en de rares occasions.

Asta Raudi avait bondi sur le dos de son adversaire, et Sejer, devant cette vision improbable, fronça les sourcils. Ils se battaient pour savoir qui aurait l’honneur de lui briser le nez ? La scène, déformée à ses yeux, le poussa à une nouvelle gueulante. « Tous les deux, j’vous prendrai tous les deux  s’il le faut ! J'ai vu bien pire qu'une sale Raudi et une bouse d’impur ! », vociféra-t-il alors que le bourreau se débarrassait de sa cargaison. Quelques litres de bières dans le sang, et il se sentait capable d’affronter les trois patriarches Oddi, Raudi et Öfugr armés jusqu’aux dents ; Asta Raudi et Vyro ne représentaient donc qu’une menace ridicule à ses yeux. Il fallait d’abord que les deux adversaires en viennent à se liguer, ce qui paraissait salement compromis par les agissements des deux partis, sûrement trop crétins pour faire preuve de diplomatie. Et la diplomatie, Sejer en fit l’étalage en se ruant à nouveau sur son adversaire, torse tout juste assez incliné pour ceindre le sien et profiter du déséquilibre de son adversaire pour, dans son élan, le plaquer au sol. Au sol, et accessoirement sur la Raudi, probablement ravie de sentir deux corps massifs s’écraser sur le sien. « Où est donc ta putain de fureur, sale chien de bourreau ? », fit-il en se redressant, comme pour lui asséner un coup en plein visage. « J’aurais peut-être dû laisser crever ton troll de sœur pour en voir la couleur ! »

Le grognement alcoolisé de Sejer permit à Vyro de concentrer toute son attention sur l'Utanlands. «Tous les deux, j’vous prendrai tous les deux, s’il le faut ! J'ai vu bien pire qu'une sale Raudi et une bouse d’impur !» Alors que la Raudi commençait tout juste à se redresser, Sejer fonça sur le bourreau et le força à rejoindre le sol. Ou plus précisément, le corps chaud et vivant de la rouquine. Un gémissement de douleur résonna quelque part dans les environs, sans que Vyro ne parvienne à déterminer si c'était Asta ou quelqu'un d'autre. Il n'eut pas le temps de s'interroger plus avant, Sejer reprenait son laiüs fou. «  Où est donc ta putain de fureur, sale chien de bourreau ?»  Définitivement hors de lui, Vyro se débattit de son mieux pour repousser son adversaire, gêné par le poids conséquent de l'Utanlands et par le corps de femme dans lequel il était empêtré.

Mais Sejer, lancé sur sa lignée, se redressa comme pour cogner Vyro, vociférant entre ses lèvres roses comme celles d'une fillette « J’aurais peut-être dû laisser crever ton troll de sœur pour en voir la couleur ! » L'ultime injure. Fou de rage, Vyro hurla de fureur et envoya son poing rencontrer le menton du sang-pur, le repoussant au passage d'un détendu de jambes impressionnant. « JE VAIS T'EMASCULER COMME UN EUNUQUE, SANG PUR DE MALHEUR » La rage coulant dans ses veines, il roula sur le côté pour s'écarter de la Raudi et foncer sur Sejer, étendu dans la poussière non loin de lui. Qu'on l'insulte, passait encore. Il en avait vu d'autre. Mais s'en prendre à Hella, c'était le meilleur moyen de s'attirer les foudres du bourreau des Heill. « Par le sang de Loki, je vais faire te faire bouffer tes parties fraîchement arrachées » Aveuglé par une rage sans nom, Vyro se laissa tomber sur le corps du sang-pur, enfonçant sans l'avoir réellement voulu son genoux dans l'abdomen mou et gras de Sejer. Il comprenait maintenant pourquoi l'animal pesait si lourd. Que de la graisse, derrière son nom flamboyant ...

Elle avait laissé les garçons que quelques heures. Juste le temps d'aller voir son oncle, plutôt son cousin, de passer un peu de temps en famille.
Quelques heures et ça avait suffit pour qu'une baston éclate, sans elle.
La brunette était restée interdite en voyant la Rose de Fer vide – et lorsque la Lokabrenna lui avait dit la raison de cela, elle avait couru jusqu'aux abords de la rivière. Une bataille et elle n'en était pas ? Hors de question ! Elle aussi voulait se battre ! C'était déjà très injuste, de se frapper sans elle... hors de question de rater plus de cette animation plus que divertissante.

Déjà, pas de traces d'Esben. À moins que ses cheveux blonds soient déjà plein de sang, donc elle ne le voyait pas ? Kaja se leva sur la pointe des pieds, tentant de voir le Brandr, et son sang roux ne fit qu'un tour dans ses veines quand elle vit Sejer. Ha oui, parce qu'elle l'avait bien vu ! Et que non, il n'était pas en train de se battre avec Esben, non non ! Mais bien avec cette ordure de bourreau, juste bon à jeter à ses propres clébards. Il n'y avait qu'ELLE qui avait le droit de foutre une raclée à Esben et Sejer ! Elle et elle seule ! Ce n'était pas un bourreau au sang sale qui allait lui voler ce droit ! À la limite pouvaient-ils se battre entre eux, mais pas avec des merdes ! La chasseuse fendit les batailleurs, écumante d'une toute nouvelle rage, et n'avisa pas immédiatement Asta Raudi. Ou plutôt, avisa qu'elle venait de lancer de la boue au bourreau, ce qui n'était pas plus mal – si elle touchait (retouchait, en fait, elle ne savait pas que ça avait déjà été fait) au Utanlands, elle allait lui refaire également son visage, et ce sans rien demander en échange. « LÂCHE-LE ! ORDURE DE SANG-MÊLÉ, LÂCHE MON SEJER ! » Elle attrapa Vyro par les cheveux, ses répugnants cheveux dégoulinant de boue et de cette crasse qui s'appliquait aux basses couches de la société viking, et l'envoya valser sur Asta, pour ensuite relever du sol le sang pur. Et lui foutre, elle-même, un splendide coup de poing au visage. Elle, l'aider à se sortir de cette bataille ? C'était mal la connaître. « ESPÈCE DE DÉGÉNÉRÉ D'UTANLANDS ! » Un hurlement salvateur.
Elle réservait au moins le même traitement à Esben, quand elle le retrouverait.

Le coup de pied dans les côtes avait fait mal. Il allait en avoir une marque, en forme de botte, il le savait. Le poids de Bartram sur lui lui coupa cela dit le souffle plus sûrement. Ben dis donc, à force de diriger et de s'envoyer toutes les sang-mêlées du coin, il avait pris du poids, le Oddi ! Bientôt, à force de paresse, il allait rouler sur le pont de son langskip au lieu dy marcher ! Cette image lui arracha un bref rire – bref parce qu'un coup de poing le cueillit, à l'endroit où un pied avait déjà frappé, coupant court à cette débauche d'hilarité. Mats se releva du sol en tanguant légèrement, quelle quantité d'alcool avait-il ingéré, par tous les mages ?, se plaçant dans la même position de combat. Et au cri de Bartram répondit un autre cri – qui s'adressait apparemment à lui (ou à Leif)(depuis quand son cousin se battait, d'ailleurs ?)

Demi-homme ? Il avait tourné la tête, une fraction de seconde, pour aviser Asta Raudi. ELLE ! Mais non ! Ce n'était pas le moment de se détourner de son objectif premier, ni de sa victime première. Il ferait voir à Asta Raudi s'il était un demi-homme, et ce avec plaisir. De toutes les façons qu'elle voulait.

Sur cette grivoise pensée, maligne pensée, il se jeta sur Bartram Oddi, qui l'accueillit habilement – pas assez pour ne pas se faire écraser les pieds par un Karlsefni enragé et tirer par les lambeaux de sa chemise, pour se prendre un autre coup de poing. Qui le cueillit cette fois à la pommette et non pas au nez, comme précédemment. Un autre coup dans le ventre – il s'en prit un en échange, en miroir. « T'ES PLUS GRAS ET LENT QUE LE PORC QU'ON VA SACRIFIER À JOL, ODDI ! » Une main empoigna ses propres boucles et il se débattit, réussissant à mettre ses doigts dans les yeux de Bartram, qui poussa un grondement de douleur et relâcha sa prise sur sa tête. Non mais, pas ses cheveux ! Les coups partout, d'accord, mais on tire pas les cheveux.

Un chaos sans nom s'était emparé du champ de bataille. La violence gagnait les viking, les coups pleuvaient plus vite et plus fort, sans ordre particulier et surtout, sans destinataire attitré. Il se vit rejeté en arrière, projeté sur la Raudi une fois de plus en ayant juste le temps de voir passer une brune au visage familier. Par tous les mages d'Asgard réunis, une Heill maintenant. Il mit un certain temps à réaliser que Hella, survenue sur ces entre-faits, l'aidait à se relever. Il n'avait pas entendu l'insulte qu'elle avait vociféré à l'encontre de la Heill mais il accepta volontiers la main tendue, ayant un peu de mal à se dépêtrer du corps d'Asta. Cette dernière s'éloigna sans même lui voler dans les plumes, à sa grande surprise. Mais Hella lui parlait et il tenta de concentrer son attention sur elle « Ca n’en vaut pas la peine, ce n’est qu’une bande d’abrutis de sang-purs, allez viens ! ».

Il dégoulinait de boue et de sueur, il puait l'alcool à cause du corps imprégné de Sejer et il débordait d'une rage folle. Les mots de sa soeur n'eurent aucun effet. En revanche, le coup qu'il vit s'abattre sur le nez de Hella le fit sortir de ses gongs et immédiatement, il se jeta sur l'Utanlands en hurlant, lui enfonçant son poing dans le ventre en l'injuriant de tous les noms qui lui passaient par la tête. Il avait juste eu le temps de voir Hella vaciller, sonnée par le coup, avant de s'en prendre à Sejer, auteur du coup asséné. Le chien d'Utanlands ne perdait rien pour attendre. « TU VAS CREVER LA GUEULE OUVERTE COMME UN VULGAIRE BRAELL, SALE MOUTON DE FREKNUR, MAUDIT UTANLANDS » Hors de lui, Vyro asséna un nouveau coup de poing dans l'abdomen de Sejer. Emporté par son élan, il fit tomber son adversaire mais ils ne rencontrèrent pas le sol immédiatement.

Un corps avait amorti la chute.

Tout aux coups et aux insultes, il n’avait pas immédiatement remarqué l’apparition de sa douce et tendre bourrine. La boue qu’il s’était prise en pleine poire l’avait fait vociférer, et il avait juré de s’occuper du cas de Raudi après avoir réglé son compte à la bouse de sang-mêlé qui lui détruisait les parties, de la terre plein les yeux ; il n’avait vu qu’à moitié que la Heill avait attrapé la tignasse du bourreau, ayant surtout entendu son hurlement de barbare. Mon Sejer. Mon Sejer. La douce mélodie résonna à son tympan alors qu’il s’essuyait les yeux ; elle lui apparut comme dans un rêve, la mine froncée par la colère –cette colère qui lui enflammait le fond des prunelles et lui donnait des airs de valkyrie. Mais la suite correspondait moins à ses fantasmes ; un violent coup au visage lui enfonça un œil dans le crâne, dans un gémissement de douleur qui, immédiatement, se transforma en hurlement revanchard : « J’ai aucune leçon à recevoir d’une crétine de Heill ! » Il savait très bien ce qui lui valait l’honneur d’une telle remontrance mais il ne put s’y attarder davantage, pour défendre sa position de brimé ; sa rage s’orienta immédiatement sur celle qui venait de proférer l’ultime affront, soit insulter devant lui Kaja. Sa Kaja. « Garce, GARCE ? TU VAS TÂTER DE MON POING, TÊTE DE TROLL ! », beugla-t-il en décochant une droite magnifique sur la pommette de la paysanne, les nerfs rendus à vif par l’alcool et les coups qu’il s’était, au préalable, pris dans les dents.

Et la réplique ne se fit pas attendre. Le frère de la victime bondit l’écume aux lèvres, et Sejer, l’attention dirigée vers la Raudi qui s’en prenait désormais à Kaja, se retrouva au sol en comprenant à moitié ce qui lui tombait sur le nez ; il sentit une douleur lui courir dans le ventre. Et rien d’autre. Rien d’autre ? Le corps de Karlsefni lui avait servi de paillasse, mais sans s’en soucier, Utanlands avait décoché un coup au menton de Vyro, et propulsé son genou dans les parties du fils de braell qui l’empêchait de retrouver Kaja comme il le fallait. « Toi et ta gueuse de soeur, c'est tout ce que vous méritez ! De vous faire embrocher au-dessus des portes du village, comme les sales braells que vous êtes ! » Il lui avait attrapé les deux oreilles, et y tirait à lui en décrocher le cartilage, à lui arracher ses appendices pour mieux les donner en pâture aux sangs impurs qui croupissaient dans la crasse et la famine. « Crevez, crevez, CREVEZ ! »

Et ça se castagnait, ça hurlait, ça s'arrachait des dents, des oreilles, des cheveux, ça se collait des coups de poing dans la gueule, les côtes, le ventre… Karlsefni était vif, pour un petit con, et il avait bondi sur Bartram afin de reprendre leur partie de joyeuseté. Le problème, c'est que Karlsefni était plus jeune que Bartram (oh, pas de beaucoup non plus, hein), et qu'il avait prévu son coup (c'est-à-dire marcher sur les pieds de l'Oddi, lui tirer les bouts de chemise et lui décocher un bon coup de poing au visage. La pommette. Le nez saignait déjà, lui. Et puis un autre coup de poing, dans le ventre, qui coupa le souffle de Bartram.
Sauf que Bartram n'allait pas se laisser faire, et qu'il eut le réflexe de coller son poing serré dans le ventre de Mats en retour. Donnant-donnant, en somme. Et de l'autre main, Bartram attrapa les cheveux bouclés (et brillants de bière ) dans le but de maintenir la tête de Mats tandis qu'il lui apprendrait les bonnes manières (ne pas insulter sa femme en faisant partie, bien entendu). Et Mats lui mit les doigts dans les yeux, ce qui n'était vraiment pas gentil du tout.

S'écartant en hurlant de rage et en lâchant les soyeuses bouclettes de Matsounet, Bartram évita un coup qui ne lui était pas destiné, se rétablit et observa l'état de sa chemise. Aucun doute n'était permis, vraiment, Sunhilda allait gueuler. Et gueuler encore plus lorsqu'elle saurait qui avait débuté la bagarre (Karlsefni, bien sûr).

Autour d'eux, les combattants se faisaient moins nombreux. Ou plutôt, ceux encore debout et décidés à en découdre diminuaient, tandis que les blessés s'éloignaient en se tenant le bras ou en boitillant. La baston générale était assez courante chez les Vikings, un peu comme chez les Gaulois d'un irréductible petit village de plusieurs siècles auparavant. Et le fait qu'ils soient sorciers aidait pas mal à cicatriser, ou à guérir plus vite.
Mais n'allez pas croire que les Vikings faisaient dans la dentelle et s'amusaient à reconstituer leurs vêtements par magie après chaque baston. Certains le faisaient, mais Bartram n'avait plus grand chose à sauver. Et, repensant à cela, il releva les yeux -douloureux toujours, il avait cillé de très nombreuses fois avant de voir de nouveau normalement- vers cet imbécile de Karlsefni, chemise déchirée aussi. Ils étaient beaux, tous les deux. « Parce que tu crois que tu vas voir Jól ? »
Nouveau plan brillant de la part de Bartram Oddi : éborgner Mats Karlsefni. Et pour cela, il fonça de nouveau sur Mats, point serré, et visa l'œil droit du capitaine de la Colère de Tyr.