Région d'origine ● Le Sviar, dans un village troglodytique à égale distance de Skuli et de Hafn Dreki, soit dans un endroit perdu, où rien ne se passe jamais. Dès ses 12 ans, Tyr accompagnait son père à Skuli, plus rarement à Hafn Dreki, qui a tout de même sa préférence. Date de naissance ● Ýlir 1261. Âge ● Trente-trois ans. Nature du sang ● Pur, même si pour certains, des doutes subsistent. Sa famille est absolument insignifiante parmi les sangs-purs, et peu de gens se souviennent l'avoir vu à Durmstrang. Il faut dire qu'il n'y est resté que quelques mois, et sans se faire particulièrement remarquer. Alors certes, si vous demandez à ses anciens camarades, ils vous confirmeront que Tyr est bien un sang-pur. Mais peu de gens demandent, et beaucoup se questionnent à son sujet. Surtout quand on l'entend parler des sangs-purs. Particularités magiques ● Il maîtrise sa magie moins bien que certains autres sangs-purs, peut-être car il n'a commencé à accorder de la valeur à la magie que bien longtemps après avoir quitté Durmstrang. Tyr est fourchelang mais n'en parle pas à grand monde, si ce n'est à sa mère, dont il a hérité ce don étonnant. Il sait qu'il doit à cette capacité d'avoir eu la vie sauve par deux fois, mais préfère s'inventer de glorieux faits d'armes. Métier/études ● Sa vie est partagée entre ses errances sur les pas des dragons et ses virées dans des tavernes où sont fomentés beaucoup trop de complots. Seulement ni draconnier ni révolutionnaire ne permettent véritablement de gagner sa vie. Alors il alterne entre assister Hrolfr de temps à autres à Durmstrang et commercer ce qu'il trouve dans ses traques (petit gibier, plantes rares, amulettes factices...)

«Ahah, j'en crois pas mes oreilles que ce gamin s'appelle Tyr - Bah, c'est plutôt protecteur pour un bambin, sa mère avait de l'espoir. - Oui, enfin, quand on le croise à la taverne, Tyr a pas vraiment grand chose à voir avec le mage de la justice et du calme hein ! - Ca c'est parce qu'on le voit jamais quand il va chasser le dragon. Il est toujours vivant et en bonne forme après toutes ses excursions, il doit bien user de sagesse ou de je-ne-sais-pas-quoi. - Oui. Chasser le dragon, c'est quand même n'importe quoi. » « Il paraît qu'il a une peur panique des margygr. - Ouais, ou alors c'est la seule excuse qu'il a trouvé pour expliquer qu'on le voit pas souvent sur un bateau le petit. - Sa famille est née dans les terres, et lui il vit dans les tavernes ou dans les montagnes, tu m'étonnes qu'il soit pas habitué aux knorr. » « T'as entendu l'accident d'hier soir, pendant la fête de Jól ? Paraîtrait que Tyr a frappé deux flûtistes - Et comment que je suis au courant ! Je les connais, ce sont des braves types, Tyr avait aucune raison de faire ça. Tout le monde ne peut pas s'occuper de politique hein, mais à l'écouter il faudrait que personne ne fasse rien d'autre. Il est où, que j'aille lui remettre les idées en place ? - Oh tu sais, je ne pense pas que c'était tellement politique. À chaque Jól, Tyr se soule comme une barrique, encore plus que les autres, allez savoir pourquoi. » « Dis donc Tyr, il a toujours pas de femme avec lui ? - Bah, qu'est-ce que tu voudrais qu'il en fasse, qu'il l'invite à boire une bière ou qu'il la fasse chevaucher un dragon ? - Dis pas de conneries, tu sais très bien qu'il va avoir envie de se poser un jour ou l'autre. - Ahah c'est ta soeur qui te fait parler ? Signe cherche à se caser ?  » tyr • déterminé, impulsif en groupe, calme en solitaire, bonne descente, utopiste, sensible, honnête la plupart du temps, aventureux, énergique, autonome, sens du devoir, égalitaire, plutôt humble, compétitif, mauvais joueur, rancunier, sujet aux remords, amical, attentif.

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Et vous, la pureté du sang, vous en pensez quoi ?

Everybody is a book of blood; wherever we're opened, we're red. Clive Barker.

C'est de la poudre aux yeux. Une absurdité. Si les sang-mêlés étaient soudain autorisés à entrer à Durmstrang et que les sangs-purs en étaient exclus, l'ordre des puissances s'inverserait. Mais non, est puissant celui qui est né au bon endroit. Tyr n'a de cesse de lutter contre cette aberration. Les sorciers sont un petit nombre face aux sans-pouvoirs, face à certaines créatures bien plus influentes en réalité, et tout ce qu'ils trouvent à faire, c'est à se diviser en fonction de strictes hiérarchies ? Au lieu d'être un peuple, certains veulent grimper par-dessus les autres et d'autres s'en contentent ? Tyr n'a jamais accepté et n'acceptera jamais cela. Il connaît bien des sangs-mêlés plus malins que certains rejetons de puissantes familles, et même des nés-sans-pouvoir qui mériteraient de siéger dans des things. La politique suit pour l'instant la pureté du sang, mais il a foi que cela changera un jour ou l'autre.  

Si vous ne deviez jurer que par un seul mage ancestral, ça serait lequel ?

There is only one god and his name is Death. And there is only one thing we say to Death: Not today. George R.R.Martin

Tyr a comme beaucoup été bercé par les histoires respectives de chaque mage, et  lui en plus il se coltine un prénom mythique. Il s'appelle pas Loki, c'est déjà ça. Mais malgré tout cela, et peut-être est-ce en partie la raison, il ne fait pas vraiment confiance à qui que ce soit de divin. Pas même les Nornes en fait, bien qu'il n'ira pas le crier sur les toits, on ne sait jamais. Seulement on l'a suffisamment raillé pour ce prénom qu'il préfère imaginer que le destin ne dépend que des hommes. Il construit sa propre histoire, elle ne ressemblera pas à celle de Tyr ni à celle de personne d'autre et c'est tant mieux. De toutes façons ils ont mal fini, les mages. S'il devait faire appel à l'un ou à l'autre, ce serait parfois Baldr pour sa conversation facile et sa bonhomie, et parce qu'il venait du Nord comme lui. Baldr le bienheureux, Baldre le courageux. Savoir combattre tout en sachant profiter de la compagnie des autres hommes. Mais Fourchelang, Tyr hésite parfois à se rattacher à Loki, le rusé, le débrouillard, qui ne se laissait jamais aller et qu'on ne put pas attacher indéfiniment. Tyr enfin, si vous cherchez bien, a peut-être quelque chose à voir avec le mage dont il porte le nom. Sans peur, intéressé à la politique et à la justice, ils ont au moins cela en commun.

Quel souvenir avez-vous du labyrinthe de Dürmstrang ? Ou ça vous fait envie ?

Désolé de pas avoir écrit avant, tu diras à papa de pas s'inquiéter. C'était pas terrible comme il avait dit. Enfin si j'étais pas tombé sur ce démentiel satané bouton de je ne sais pas quelle fleur. On vient juste de me dire le nom de la chose, mais voilà que j'ai déjà oublié. J'ai mangé ça pour mon deuxième jour dans le labyrinthe, ça avait l'air inoffensif. Ouais. Fièvres et pustules, j'ai été bloqué trois jours sans bouger. Plus encore deux pour sortir. Six jours. Un peu plus et je me faisais ramasser par le garde-chasse. Sûr qu'avec un dragon j'aurais eu moins d'ennuis, sûr. En tous cas, tout le reste a paru une petite balade à côté. Bon d'accord, à un moment j'ai eu besoin d'aide, heureusement on est pas tous seuls dans le labyrinthe. Ils ont beau dire tous, ça m'étonnerait qu'il y en ait beaucoup qui fassent tout ça en solitaire. Bref, ça allait. Mais ici par contre c'est pas très bien. (...)

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«  Inga, c’est vrai ce qu’on m’a dit ? Tes parents vont te faire épouser Alvin ? – Oui. Mais ce n’est pas la décision de mes parents Tyr, c’est moi qui ai fait ce choix. – Mais t’as que dix-neuf ans Inga, on est jeunes encore ! Comment tu peux savoir que tu auras envie de passer ta vie aux côtés de ce… de ce … – Tyr ! – Mais enfin, c’est vrai quoi, tu mérites bien plus qu’un pleutre qui sait même pas tenir une hâche. – Je ne te permets pas ! – Mais alors dis moi Inga, qu’est-ce qui t’intéresse chez lui ? – Tu peux pas comprendre… – Essaie ! – Il me fait rêver Tyr. Tu l’as jamais entendu jouer de la flûte, ou du moins tu n’as jamais su l’apprécier. Mais tu vois, dès qu’il commence à jouer, il me fait rêver. – Ouais d’accord, un coup de pipeau et t’es toute retournée. – Tyr ! C’est magique quand il joue. Tu sais qu’il a fait graver des runes de joie et de poésie dans l’os de sa flûte ? Toi, tu n’y connais rien à la magie. Et tu t’étonnes qu’on te prenne pour un sang-mêlé. Alvin et moi on va bientôt quitter Durmstrang, je le connais mieux maintenant, j’ai appris à l’apprécier. – D’accord, on me disait que Durmstrang servait à utiliser sa magie, à mieux connaître le monde tout ça, j’y croyais pas et j’avais raison. Je suis ravi de savoir qu’en fait Durmstrang est le grand bal de rencontres vikings pour projets matrimoniaux. Sérieusement Hemma, toi et moi on partageait des trucs bien plus importants. Tu te souviens quand tu me disais qu’à nous deux on allait renverser le monde ? – J’étais une enfant Tyr, j’ai grandi. Si tu veux rester enfant, c’est ton problème. – C’est moi l’enfant ? Moi ? Pas le musicien qui va gagner sa vie en faisant le pitre dans les villages du Sviar, non moi ? – Il a étudié les potions maintenant, et tu sais il est premier de sa classe en soins, donc oui Tyr, il va mieux gagner sa vie que toi, et tu restes l’enfant. – Que Hel t’emporte Hemma, toi et tes considérations futiles, toi et ta future petite vie bien rangée !  »

Dès ses dix-neuf ans, Tyr commença à ronger son frein. Aurait-il du aller à Durmstrang ? Il n’osait pas se poser la question, il la refoulait autant que possible, mais elle ne faisait que surgir encore et encore. «  Tyr mon chéri, tout va bien ? – Parfait. – On ne voit plus la petite Hemma. – Qui ça ? Oh Hemma, celle qui va épouser Ragnvald ? Oui non elle est à Durmstrang hein. – Ah je comprends. Ton père a besoin de toi, va l’aider plutôt au lieu de te morfondre. Tu ne regrettes quand même pas Durmstrang si ? C’est toi qui a insisté pour continuer à accompagner ton père dans son métier, tu sais que je t’avais dit que… – Regretter Durmstrang ? C’est la meilleure tiens. Pfff. Pour quoi faire ? Apprendre à utiliser des runes complètement inutiles ? Les seuls cours intéressants étaient pour les plus âgés, sérieusement on perd son temps là-bas. Et puis papa avait besoin de moi, je ne sais pas comment il aurait pu tenir son commerce à flots si j’avais pas été là tiens. – Tyr, tu sais ça ne fait que vingt-cinq ans que j’ai quitté Durmstrang, je me souviens de pas mal de choses si jamais tu… – Mais maman bon sang ! Puisque je te dis que j’ai pas besoin d’aide ! Durmstrang c’était des conneries, j’y ai passé quatre mois, c’était quatre mois de trop. Ils étaient tous insupportables de toutes façons, j’aurais pas pu tenir plus longtemps. »

Tyr était hors de lui. Durmstrang, Durmstrang, Durmstrang. Tout lui avait déplu là-bas, dès la première seconde. Les regards inquisiteurs sur sa personne. Quoi, ils avaient cru qu’ils ne sortirait pas du labyrinthe ? Son nom n’était pas assez respectable pour eux ? Le mépris de certains professeurs. Les difficultés qu’il avait dans certaines matières inutiles, magiques le plus souvent, et la banalité d’autres cours qu’il aurait souhaité tellement plus complexes. À commencer par la draconologie. Et l’endurance. Rien n’était comme il l’avait espéré, ou plutôt tout était comme il l’avait craint. Son père lui avait écrit pour lui rappeler que lui-même avait perdu cinq années de sa vie à Durmstrang, mais que si Tyr l’accompagnait, il voyagerait, il apprendrait un métier, il rencontrerait d’autres gens. C’était tout ce que Tyr souhaitait. Il avait quitté l’école, et son adolescence s’était passée sous les meilleurs auspices, apprenant le commerce et les bases magiques essentielles aux côtés de son paternel. Oui, il était satisfait de son choix. Alors pourquoi diable sa mère parvenait-elle à le faire sortir de ses gonds aussi facilement ? Il voulut claquer la porte de la demeure avec violence, mais la porte se referma tout de même avec sa douceur habituelle. Il la regarda ahurie : « Ça fait vingt ans que Thurisaz et Algiz sont gravées dans le chambranle, j’ai pris soin que cette porte ne soit jamais sujette aux colères, nôtre foyer a toujours été cher à mon coeur… » expliqua la mère de Tyr dans un murmure, sous le regard noir de son fils. Damnées runes qui l’empêchaient même de claquer une porte.



Le bureau de mon père est dans un état lamentable. Traînent ici et là des pièces de monnaie étrangères, des amulettes inutiles, des parchemins gribouillés à l’encre défraîchie, un poignard que je ne l’ai jamais vu porter, une corne à boire, deux chapeaux ridicules, des grains d’avoine, quelques feuilles qui semblent être de la sauge, une bague assez richement ornée, un dessin de Sombral d’une étonnante qualité, deux assiettes sommaires, des fleurs de dictame, une carte des côtes du Noregr. C’est un capharnaüm sans nom, dans lequel il a fallu lutter pour me trouver une petite place. À croire qu’il s’agit de l’histoire de ma vie : moi, en train de me trouver une place dans le bazar paternel pour poser mes affaires. Mais ce temps est révolu. L’enfance est un couteau planté dans la gorge. Mon père a ses raisons d’avoir mené la vie qu’il a menée, et je ne le blâme même pas de m’avoir attaché à ses pas. Mais une page s’est tournée. Moi qui ressens pour la première fois le besoin de coucher sur le papier les pensées qui me harcèlent, je prends conscience du tournant opéré. Cette errance à ses côtés, ces égarements, ces confusions, ces questionnements, je croyais qu’ils m’appartenaient, mais ce n’était pas le cas. Ces atermoiements enfantins n’étaient que des compagnons de voyage temporaires. Ils sont restés là-haut, dans le nord du Sviar. À ses côtés. Aux côtés du corps de l’ami que j’ai laissé, sont aussi enterrés mes doutes, mes erreurs, mon aveuglement. J’aurais eu besoin de ça. Tour du destin, ou simple jeu cruel du hasard. Il a fallu qu’une partie de ma vie me soit violemment arrachée, il a fallu que je le conduise à la mort, mon ami, pour être capable de me regarder en face dans un miroir. Pour pouvoir enfin discerner les erreurs de jugement. Oui, j’aurais du aller à Durmstrang. C’est peut-être la plus grande erreur que j’ai commise. J’y aurais appris la magie, j’y aurais appris les runes. J’aurais poursuivi les cours de draconologie. J’aurais maîtrisé ma capacité Fourchelang. J’aurais appris à réfléchir. J’aurais pu tout éviter. J’aurais pu tuer le dragon. J’aurais pu agir. J’aurais pu sauver mon ami. J’aurais pu sauver le bonheur de Siri. Nous serions rentrés triomphants. Nous serions rentrés riches. Nous serions rentrés ensemble.

Je suis seul à ce bureau, et déjà tu dois être là-bas, à me regarder. Je crois que les morts veillent sur nous. Je veux le croire du moins en ces jours tragiques. Je veux croire que du Valhalla, tu sauras apaiser le cœur de Siri, et que tu sauras m’insuffler une nouvelle joie de vivre, comme tu l’as toujours fait. Je veux croire que tu es désormais libéré de tous les sentiments humains, et que tu me pardonnes. Car tu sais que moi, je ne me pardonnerai jamais. Je ne pourrai jamais me racheter, mais je veillerai à devenir meilleur. Je ravalerai ma fierté, j’apprendrai les runes. Je ne répondrai que de moi-même, plus personne ne devra compter sur moi jamais. Tu m’as fait confiance, et ta confiance m’a donné des ailes. Je nous ai perdus. Je t’ai perdu. Ma main tremble.

Je tente de reprendre le fil quelques instants plus tard. Ma tête tournait, j’ai du aller m’allonger. Dès que je ferme les yeux, je revois le regard vert foncé du dragon funeste. Je ne le blâme pas, et j’ai toujours en moi cette flamme brûlante à l’idée de marcher vers le Sviar. Ce n’est pas le dragon qui t’a tué, nous savons tous les deux par la faute de qui tu es mort. Tous les trois nous le savons. Je remonterai vers le Sviar. Je n’abandonnerai pas. Mais j’irai seul. J’ai risqué la vie qui m’était la plus chère. Alors quoi, est-ce que c’est cela, la solution ? La solitude ? Pourtant. Pourtant il y a le collectif, il y a cette vigueur que nous ressentions tous lors de nos premières marches. Cet échauffement des esprits à l’idée de se sentir un corps composé de dix corps, un corps composé de dix têtes, une équipe. J’ai toujours cru en la force du collectif. Et je sais que tu y croyais avec moi. Je sais que ces soirs à planifier notre entreprise dans les tavernes surpeuplées, à vibrer tous ensemble des mêmes espoirs et des mêmes craintes sont parmi les plus exaltants que nous ayons pu vivre. Nous avons pris cette exaltation pour de la puissance. Nous étions en réalité plus vulnérables, plus aveugles. Je n’ai pas vu les dangers de la confiance que tu m’accordais, je n’ai pas vu ma bêtise ni mon inexpérience. Nous étions trop enthousiastes. Cet enthousiasme existe pourtant, mais ce n’est pas une puissance. Pour être transformé en puissance, nous aurions du être plus rationnels, peut-être. Plus réfléchis. Mais en sommes-nous capables ? Dans quelle direction aller ? Quel chemin prendre ? Et comment pourrais-je seulement croire que je prends la bonne solution, moi dont la vie vient de prendre un tournant si funeste ? Et auprès de qui pourrais-je prendre conseil ? Comment oserais-je rendre quelqu’un responsable de ma vie, quand je vois les risques encourus ? Nous sommes un peuple. Nous sommes des frères, et les liens que nous créons entre nous ont une force terrible. Je le vois si clairement. J’irai sur les deux chemins. Pierre par pierre, j’appréhenderai ma solitude dans les montagnes du Sviar. Seul, je découvrirai les dragons. Seul, je serais fou et exalté. Pavé par pavé, j’arpenterai les rues de Hafn Dreki et de Skuli jusqu’aux tavernes. Avec vous tous, je construirai le monde. Ensemble, nous serons puissants. Mais à condition de savoir quelles sont nos responsabilités individuelles.

Je m’arrête, je m’emporte encore. Je sens pertinemment que cette exaltation fait partie de moi. Et pourtant dès qu’elle surgit, dès que l’optimisme et les utopies renaissent en moi, le souvenir de ta mort vient brouiller mon esprit. Ta mort. Je tombe sur ce bureau en bazar. Qui suis-je pour espérer avoir une vision claire de ce que doit être le monde viking ? Je n’ai même pas été capable de protéger un ami.

Corbeau-qui-louche, Haustmánuður 1291.

Il a hésité un instant, entre les différents souterrains, ne sachant vers quelle taverne diriger ses pas. Tyr a dit au revoir à sa sœur le matin même, la regardant partir vers Durmstrang avec un sourire crispé. Parfois, rarement, il considère que le mage Tyr est tout de même son protecteur. En secret, en silence, il l’a prié ce matin de veiller sur Freyja, sans y croire réellement. Simplement, cela ne peut pas faire de mal. Qu’il ne lui arrive rien dans le labyrinthe. Qu’elle s’en sorte mieux que lui. Qu’elle ne tombe pas sur une créature qui lui fasse passer un sale moment et la dégoûte de l’école. Qu’elle se plaise à Durmstrang. Qu’elle ne fasse pas les mêmes erreurs que lui. Jamais. Il pourrait aller cuver sa nostalgie à la Rose de Fer, mais il y aurait été environné de sangs-purs bien comme il faut, de tous ces privilégiés qui n’ont pas eu le temps de faire d’erreurs. Ou s’ils en ont fait, elles ont été effacées parce qu’ils sont au-dessus du reste du monde. Non, il a passé son chemin et a poussé la lourde porte du Corbeau-qui-louche. En réalité, la bière y est moins bonne, tout le monde le sait, quoique les habitués en disent, et c’était une raison suffisante pour le faire hésiter. Mais la tendresse qui lui sert le cœur ne disparaîtra que parmi les cris et la saleté des moins aisés.

« Tyr, qu’est-ce que tu mijotes dans le coin ? Ca fait quelques temps qu’on t’a pas vu à Skuli – J’ai conduit ma sœur hier, elle partait pour Durmstrang ce matin. – Ah elle a le sang-pur elle ? – Oh ça va hein Eskil, viens plutôt un peu par là, j’ai des questions à te poser. – Allez, je nous prends deux bières pour fêter ça. Attends moi dans le coin là-bas, à bonne distance de Hastein et de ses acolytes. – Pourquoi ? – Je t’expliquerai. »

Les amitiés se font et se défont assez vite, dans les souterrains. Amitiés alliances plus que sentimentales. Le dit Hastein, sang-mêlé depuis peu, a été vu en train de pactiser avec un sang-pur encore plus insignifiant que Helgason pour essayer de rattraper son statut perdu. Complots de pureté dont les plus hauts placés n’ont pas idées, eux qui ne se marient de toutes façons qu’entre cousins. Mais ici-bas, la guerre pour purifier son sang fait rage, contrairement à tout ce dont rêve Tyr. « Tyr, Hastein est en train de trahir tout le monde. Et s’il arrive à se faire entendre des sangs-purs, tu sais, tu pourrais finir par avoir des soucis à force de clamer tes idées ici ou là. – J’ai plus vingt ans Eskil, je sais me défendre, et c’est pas un esclave à la solde de quelqu’un qui va me faire du mal. Entre celui qui défend sa peau et celui qui gagne de l’argent, tu paries sur qui ? – Bon bon très bien. T’es toujours comme on s’était quitté alors ? – Toujours. Mais c’est plus facile à mettre en place à Hafn Dreki qu’à Skuli. Ici il y a trop de monde. » Trop d’oreilles aussi, ils se taisent subitament dès que quelqu’un s’approche. Eskil va le rejoindre à Hafn Dreki, c’est décidé. Là-bas, les tavernes sont semblables, mais les oreilles généralement plus clémentes.

Tyr veut mettre sur pieds de nouvelles thing. Il a promis à un sang-impur de ses amis qu’il ne renoncerait pas à ses idéaux. Et rares sont les promesses de Tyr en réalité, il n’a jamais été un homme à donner sa parole à la légère, encore moins depuis qu’il se la joue indépendant, ne voulant pas qu’on lui fasse trop confiance, il a quand même perdu des amis comme ça. Mais c’était il y a longtemps. L’eau commence à couler sous les ponts. Aujourd’hui, il veut construire de nouveau, et pour construire, il faut des espoirs et des promesses. On ne compte plus les sangs-mêlés qui n’ont pas eu un procès équitable, ou qui n’ont pas eu de procès du coup. On ne compte plus les sangs-purs idiots dont la voix compte évidemment beaucoup plus que les autres. Ne parlons même pas des braell. Une fois. Une et une seule fois il a assisté un braell gagner un procès, où l’enjeu était de toutes façons excessivement minime. C’était il y a cinq ans. Mais les choses vont changer, Tyr ne craint plus les oreilles curieuses, il crie ses idéaux à la cantonnade, car il n’y a finalement que comme ça qu’il va arriver quelque chose.

Deux heures plus tard, la bière commence à faire son effet. Eskil, Tyr et Hastein sont entremêlés les uns sur les autres, tapant du poing sans regarder qui prend les coups. D’autres encouragent, un se joint à la mêlée, sans qu’on ne parvienne réellement à déterminer pour quel côté il arrive en renfort. « Fils de braell ! – Sang de Troll ! – Crotte d’elfe ! » Épuisés, ils rampent finalement tous vers la sortie, s’injuriant à qui mieux mieux, personne n’acceptant de ne pas avoir le dernier mot. Voilà une affaire rondement menée.

En marchant vers le portail runique, Tyr époussete ses vêtements. Où aller quand il sera de retour dans le Nord du Sviar ? Il n’aime pas vraiment rentrer chez lui, il n’a rien à y faire. S’il veut être en paix, il crapahute dans le Nord. Mais il est trop fatigué pour cela. Peut-être devrait-il contacter Brunhild tiens, avec elle au moins, les coups de poings ont toujours été donnés en riant. Il sourit au souvenir de son enfance. Il a fait un bout de chemin depuis. Il a changé, il en est parfaitement conscient. L’homme que tout reflet lui désigne est plus décidé, plus intègre, plus réfléchi. Enfin, la plupart du temps. Sa vie, elle, n’a pas bougé d’un iota depuis qu’il a quitté Durmstrang en réalité. Dragon par-ci, taverne par-là, femme sur le bas côté de la route, quand il voit ses compagnons s’installer et engendrer des tas d’héritiers. Il regarde ces nouvelles vies avec circonspection. Elles ne lui donnent pas envie. Pourtant, de temps en temps, il se laisse aller à s’imaginer une vie parallèle. Il serait allé à Durmstrang, grande agence matrimoniale donc, et ferait aujourd’hui sauter sur ses genoux un petit Tyr Junior. Ou dans l’esprit, vous avez saisi l’idée. Il fait la moue en réalité à l’évocation de cette image distrayante. Il arrive aux abords de la rune de passage, jette un regard en arrière vers Skuli. Où sera-t-il, lui, quand sa soeur quittera Durmstrang ? Il se fait la promesse d’avoir progressé d’ici-là.