« « Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui ... » Je dirais que c'est d'abord un nom de famille. J'ai toujours été un Laguz avant toute chose. Pas un gosse, pas un adolescent, pas un adulte, non. Un Laguz, sang-pur réputé puissant et glorieux, lignée intimement mêlée à l'histoire des vikings. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai rarement été désigné par mon prénom uniquement. Il était toujours, ou presque, suivi de mon nom de famille. Alors bien sur, en présence de mon frère, c'était plus simple de rajouter le prénom mais parfois ... Parfois, il sombrait dans l'oubli. »

Si Falko Laguz avait eu le temps de tenir un journal, on y trouverait ces quelques mots, pertinents et éclatants de justesse, tracés à l'encre rouge sur le parchemin usé, lettres joliment formées pour la plupart mais pas toujours lisibles à certains endroits. On devait bien reconnaître que le cadet des Laguz avait toujours su s'appliquer dans ce qu'il entreprenait, que ce soit pour rédiger des dettes, des avoirs ou des lettres de réclamation ou bien que ce soit pour bâtir des maisons. Les constructions Laguz avaient, au sein de la communauté viking, une belle réputation. Loin derrière celle des directeurs de l'école de Sorcellerie, les parents de Falko, ou encore celle de Vegar Laguz, son aîné, mais une réputation tout de même, solide et appréciable.

On racontait que Falko Laguz avait arrêté les études bien avant de passer les examens qui auraient fait de lui un sorcier en tant que tel. La population toute entière était de toute façon persuadée qu'il n'aurait jamais obtenu son diplôme, peut-être à raison. Dans bien des domaines, le benjamin des Laguz était considéré comme sot et il ne faisait guère d'effort pour donner le change. Il construisait des maisons et savait se montrer compétent dans tout ce qui touchait à cette profession mais en dehors de ça, il n'était qu'un viking comme les autres, pas très brillant, porté sur les femmes et la boisson, bagarreur ... Il était d'ailleurs assez avantagé, dans ce dernier passe-temps. Son étrange résistance à la douleur en fait un adversaire assez redoutable, au même titre que ses bras trop musclés à force de construire des bâtisses.
Malheureusement ... Il manque de stratégie et pour lui, un combat se joue à la force seule. Il en sait quelque chose, lui qui a, par un soir de beuverie, massacré quelques maudits moutons de Freknur ... La rousse propriétaire de ces doux animaux au pelage multicolore lui a foutu la raclée de sa vie, ce soir-là. La première qu'il a véritablement sentie, peut-être. Il ne doit qu'à son nom de ne pas avoir été jeté entre les griffes des Raudi en colère. Depuis, il ne s'approche plus des agneaux de la Freknur. C'aurait pu être cocasse, si ça avait été son seul incident dû à l'öl ... Mais il avait, entre autres, fichu le feu à la demeure de son frère aîné, aussi. Peu de temps après avoir été refusé par le Vondr pour travailler sur les chantiers en tant que constructeur de navire, il s'était noyé dans la boisson et l’incendie en avait résulté. Depuis lors, on ne lui servait plus d'alcool.

Sa lueur d'espoir, dans cet univers un peu sot, un peu sombre et pas très glorieux, c'est la femme du Oddi infidèle.
Sunhilda Oddi, aux cheveux couleur de feu, à la peau translucide comme de la neige, aux yeux clairs comme les torrents puissants des fjords du Noregr ... Il ne sait pas vraiment à quoi elle ressemble, habillée. Il ne connait que son corps nu, ses formes pleines et son sourire un peu ivre, quand elle s'oublie, quand elle s'abandonne. Il n'aurait jamais pensé avoir une chance pareille, un jour. Devenir l'amant d'une Oddi, ancienne Raudi. Devenir l'amant de la femme de Bartram Oddi. Il en jubilait presque à chaque fois qu'il croisait le barbu cocu, gardant difficilement ça pour lui cependant. Il ne tenait vraiment pas à s'attirer le courroux de Bartram, quelque chose lui disait que ce genre de bataille, il la sentirait passer. Tant que Sunhilda venait le voir quand elle s'ennuyait, il n'avait pas à se plaindre et s'il voulait que ça continue, il savait qu'il ne devait pas faire d'histoire. Puis après tout, Bartram sautait sur tout ce qui bouge, pourquoi sa femme ne s'offrirait-elle pas aussi un peu de bon temps ?

En somme, Falko Laguz avait une vie simple et tranquille, avant que la révolte des impurs n'explose au grand jour. Sans le vouloir vraiment, il avait contribué à sauver Skuli d'un terrible incendie, en suggérant une idée que le géant blond répondant au nom d'Osbern s'était empressé de suivre, à savoir : étouffer le feu. Depuis, le dernier des Laguz se posait quelques questions. On le disait sot mais il n'était définitivement pas inutile. Il lui suffisait juste de se décider pour un camp, mais il hésitait encore sur le parti à prendre.