Le silence qui entourait Damara était oppressant. Chacun s’accordait sur ce point. Comme on pouvait s’accorder sur sa force, sa ténacité, ou son mauvais caractère. Damara se savait sans nuance. Il en fallait peu pour réussir à la connaître. Et dans un sens, sa simplicité faisait sa fierté. Elle se savait forgée du même métal que son père, ses tantes, et chaque Raudi qui avait foulé les terres scandinaves avant elle. Un fer brut, froid et fatal, un fier fer du Noregr, à l’opposé du fer d’Islande, léger, fragile, et qui se cassait au moindre coup de vent. Non, elle était digne de son père, de sa famille et de son nom, et son statut de meilleure guerrière de sa promotion en était la preuve.

Mais revenons plutôt à nos moutons de Freknur. Sans nuance ? Oui, à peine. Il en fallait peu pour la connaître. Mais pour cela, il fallait l’approcher. Et c’est là que l’affaire se corsait. Car le silence entourant Damara était oppressant. Lourd, impénétrable. Ses yeux sombres balançaient des éclairs, et construisaient des murs autour d’elle, qu’une poignée seulement était autorisée à franchir. Ce système de défense remontait à son arrivée à Dürmstrang. Au moment où elle comprit que sa bruyante et chaleureuse famille n’était pas la bienvenue partout. Que pour parler d’un idiot, d’un homme manquant de réflexion et frappant à tout va, on pouvait le traiter de Raudi (ou d’Oddi, certes, mais à l’époque, elle s’intéressait encore très peu à la nouvelle famille de sa tante, et à son oncle aux séduisantes boucles brunes). Evidemment, l’humiliation avait été cuisante. Mais elle ne s’était pas laissé abattre, et pour faire honneur à sa réputation, elle avait distribué les coups, sans distinction. Aujourd’hui, elle avait gagné sa tranquillité.

Tranquillité dont elle jouissait à présent, alors que ses doigts farfouillaient dans la carcasse d’un poulet, nonchalamment appuyée sur l’une des tables de la Grande Salle de Dürmstrang. Tranquillité qui fut bien vite abrégée lorsqu’un corps massif vint s’asseoir en face d’elle. Elle ne daigna lever les yeux, finissant d’arracher la chair d’un des os de la pauvre créature.

« qu’est-ce que tu veux, ülf ? »

L’homme ricana, habitué qu’il était par l’absence d’émotions de la viking. Jamais en public. Pour un peu, il lui aurait attribué un cœur de margygr. Mais il savait mieux que ça. C’était une relation étrange qui liait pourtant ces deux êtres du Noregr. L’amitié. Un concept encore abstrait pour Damara. L’amour familial, ça, c’était solide. L’amitié ? Il lui fallait encore s’y faire.

« t’as entendu parler d’aska rùn ? »

Placide, Damara haussa à peine un sourcil. Pourtant, elle bouillonnait, là, à l’intérieur. C’était comme si son palpitant venait de louper un battement.

« pourquoi je devrai avoir entendu parler d’aska rùn ? »

Ulf sourit de plus belle. C’était tellement facile.

« oh pour rien. il paraît qu’elle est la meilleure guerrière de sa promotion. de notre promotion. »

Damara grimaça. Elle lâcha l’os, qui vint rouler dans l’assiette en étain. Sa langue vint caresser ses lèvres, puis ensuite ses doigts, où encore un peu de gras se trouvait logé. Mais sa grimace se transforma en sourire, un sourire tordu d’où ressortait la clarté de ses canines. Un sourire carnassier, un sourire dagmarien.

« et on la trouve où, cette aska rùn ? »

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Un murmure assourdissant emplissait l’imposant toit de l’école, et se perdait dans les vents du Wends qu s’abattaient sur l’île. Des murmures qui se turent, d’un coup, lorsque Damara Raudi franchit les portes. Elle reconnut dans le public trépignant quelques visages amicaux, familiers, les boucles rousses d’Asta, les yeux sombres d’Ulf, et d’autres faces, beaucoup plus hostiles. Et chacun d’entre eux attendaient avec impatience la chute de l’aînée Raudi. Aucun faux pas ne lui serait accordé.

Elle se retrouva rapidement au centre du toit, face à une jeune fille de son âge, aux cheveux noirs comme la nuit et aux yeux clairs comme la glace. Comment n’aurait-on pu faire plus différent ? Elle était grande, presqu’autant que la fille du Noregr, et malgré son corps, un corps de femme, déjà bien formé, alors que Damara était encore si plate, elle semblait légère, rapide. Et dangereuse. Ses yeux de glace fixaient Damara, mais elle ne pipait mot. La fille du feu se détourna, et rejoignit Ulf qui lui tendit son bouclier et son fléau, gravés de rune d’attaque et de défense. Parce que ses capacités magiques étaient des plus médiocres, Damara comptait principalement sur sa force, et sur ces runes, qu’elle apprenait, inlassablement, soir après soir.

Bardée de fer et de magie, elle se retourna finalement vers son adversaire.

« alors c’est toi, aska rùn ? »

Son visage, à voix, n’était que mépris. Mais un mépris amusé, moqueur. Parce qu’il n’y avait rien que Damara n’aimait plus qu’un bon combat. Et d’après les rumeurs qui couraient les couloirs de Dürmstrang depuis quelques jours, il était possible qu’elle ait enfin trouvé une adversaire à son niveau.

« il paraît que tu te bats bien, aska rùn. j’ai hâte de voir ce dont tu es capable. et j’espère qu’on ne m’a pas menti ; je n’aime pas perdre mon temps. »

 « Aska ? ASKA ? ». La voix déjà grave de  Gudbjörn tira la gamine hors de ses songes et c'est en se frottant les yeux qu'elle releva la tête, les paupières encore lourdes de sommeil. La bande habituelle s'était arrêté au bord d'une rivière, profitant d'une après-midi libre pour se détendre alors qu'Aska, adossée à un arbre s'était laissé bercée par le ruissellement de l'eau sur la roche avant de sombrer. « Il est quelle heure ? » « La même que la dernière fois où je t'ai réveillée, plus cinq minutes. ». La viking fit la moue avant d’ébouriffer ses cheveux sombres, à l'époque réduit à un champ de bataille qui dépassait à peine ses oreilles en longueur. « Et pourquoi me réveiller ? », gronda t-elle en enfouissant sa tête dans ses bras .  Snorre leva les yeux au ciel avant de lui prétendre tendre une lettre qui visiblement était arrivée pendant son assoupissement.  « Pour toi, ya ton nom marqué dessus, ça a l'air d'être l'écriture de Tyr. ». Tyr ? La brune releva la tête le temps d''un raido pour faire face à ses deux aînés hilares, comprenant bien que Tyr n'avait rien envoyé du tout. « Allez vous faire voir, je vais dormir. » . « Attends la môme, y'a un gosse qui est passé. ». Aska qui s'était relevée en s’époussetant considéra Snorre d'un air suspicieux mais un regard vers son grand frère lui confirma la véracité de ses propos. Ce dernier, hésitant, poursuivi à la place de Snorre en haussant les épaules « Ülf, un truc comme ça. Une certaine Damara Raudi aurait eu vent de tes exploits et serait vexée que ta renommée de brute dépasse la sienne. Elle te provoque en duel. ».

Ainsi tout avait commencé. Aska avait gardé le silence alors que les deux jeunes hommes lui expliquaient de façon calme et raisonnée qu'un tel duel était totalement puéril et que ce serait faire preuve de maturité de décliner. Sauf qu'Aska n'ayant pas un gramme de maturité adulte, elle ne risquait pas d'en avoir enfant ainsi fit-elle parvenir sa réponse positive à Damara par l'intermédiaire d'un gosse de sa promo qu'elle attrapa dans les couloirs. Cela devait bien arriver un jour, elle détenait le record de bagarres à Dürmstrang et les champions étaient fait pour être détrônés. Dire qu'elle l'avait vu venir serait exagéré mais maintenant que les autres enfants se répandaient en murmure en la croisant Aska ne s'étonna pas de la confrontation. La refuser, c'était ouvrir le champ libre aux médisances sur une prétendue lâcheté et elle n'avait pas envie de perde en faisant taire les mauvaises langues avec sa diplomatie habituelle. Voilà comment la fille du Groenland s'était retrouvée sur ce foutu toit, alourdie par ses armes et son boucliers, attendant la fameuse Damara alors que les trois hommes de sa vie la considéraient avec un agacement distillé par l'inquiétude pour Gudbjörn et Snorre et avec une pointe d'admiration pour Siegfried qu'elle ébouriffa avec un sourire avant que des dizaines de murmures ne la fassent se retourner.

La foule s'écarta faisant place à la fameuse Damara, une rouquine d'une taille tout à faire respectable qu'elle avait déjà aperçue de nombreuses fois mais à qui elle n'avait jamais parlé. La Raudi la considéra un temps, jaugeant son adversaire alors qu'Aska lui répondait par ses habituels regards polaires avant qu'elle se détourne pour récupérer un bouclier et un fléau ce qui fit arquer un sourcil à Aska. Elle privilégiait les armes contondantes, soit. Ce constat fait, Aska se délesta de sa hache, d'un gourdin et ne conserva que son épée au fourreau et une lance qu'elle prit en main avant de soulever son bouclier. « alors c’est toi, aska rùn ? » . La brune répliqua uniquement par un claquement de langue agacé en réponse au ton. Moqueur. Un feu brûlant envahi son palpitant et pulsa dans ses veines, sortant la gaëlle de sa torpeur habituelle pour l'ouvrir à la furie du combat. Cette fille ne la respectait pas et si elle devait lui faire ravaler sa mesquinerie de sang-pur à coup de poings, elle le ferait. « il paraît que tu te bats bien, aska rùn. j’ai hâte de voir ce dont tu es capable. et j’espère qu’on ne m’a pas menti ; je n’aime pas perdre mon temps. » Aska dédaigna la réplique - comme si des élèves de Dürmstrang avaient mieux à faire que de se taper dessus, sérieusement – pour répondre avec hargne à son adversaire qui avait réveillé son cœur de margygr. « Ravale ton arrogance et ton orgueil Raudi, ils ne te feront pas gagner ce combat. » Parce qu'elle avait été dénigrée pour son sang gaël, Aska était d'autant plus irritable et elle se jura qu'elle n'abdiquerait pas, dut-elle se faire pourrir par Vegar Laguz dans la soirée. Aska traça Tiwaz, sa rune maîtresse, prête à prouver sa valeur.