Tu as bu de tout ton soûl, comme ça t'arrive rarement. Pas pour une raison spéciale, qui plus est, juste pour les beaux yeux de la tavernière, la Lokabrenna que tu reluques dans l'ombre depuis tes treize ans. Si tu as bu autant, c'est juste pour le plaisir de la voir te resservir, encore et encore et encore. Il faut dire qu'elle est quand même magnifique. La plus belle créature que tu ais vue de ta vie, parole de viking. Pendant toute ton adolescence, tu l'avais regardé, dans l'ombre. Jamais tu n'avais osé lui parler, ou même l'approcher. Trop timide, trop jeune, trop effrayé de sa cousine, la redoutable Norell. Il faut dire qu'elle ferait même peur à un braell cette femme-là ! Joren Vondr, ton cousin, t'avais dit de rester éloigné de la Lokabrenna, autant que possible. « Les Lokabrenna, c'est pas bon pour nous, pour personne même ! Faut pas que tu t'attaches à elle, petit, t'y perdra des plumes. Trouve toi une autre femme plutôt, une gentille qui te donnera pas d'emmerdes. » Tu aurais voulu l'écouter, suivre son conseil, vraiment. Mais ton cœur en avait décidé autrement, déjà à l'époque. Elle attirait ton regard, où qu'elle soit, plus que n'importe qui d'autre. Mais tu es quand même resté dans l'ombre, à attendre ton heure, à attendre un moment, un endroit, où tu pourrais la conquérir. Avec le temps, les années, tu t'es un peu plus débarrassé de ta timidité. Tu as connu des filles, un bon paquet même, et a découvert que si tu n'aimes pas particulier chasser le gibier, la chasse à la femme est une activité que tu apprécies énormément. Tu es devenu doué, excellent même. Alors tes raisons pour rester en retrait, elles ont disparues, presque toutes. C'est pour cela que tu te rends, aussi souvent que possible, à la Rose de Fer, l'établissement que tient la métamorphomage. Quelques fois, souvent même, les avances que tu fais à Ingrid sont coupées nettes par la venue de Norell, qui te terrifies toujours autant, mais pas cette fois, non. Alors, tu as bu. Pour te donner un peu plus de courage, pour la regarder, encore, et la voir te sourire. Hydromel, bière, vin, tu as absorbé tout ce qu'elle pouvait t'apporter, avec la joie au cœur.  Jusqu'à ce que finalement, ta vision soit légèrement troublée, que ta démarche soit peu sûre. Jusqu'à ce qu'éventuellement, ce soit l'heure de la fermeture. Bon joueur, tu es sorti de l'établissement, attendant de voir sortir Ingrid pour te proposer de la raccompagner chez elle. « C'est pas très sûr les souterrains le soir, tu pourrais avoir besoin d'un viking grand et fort pour te secourir. » Tu n'avais même pas attendu sa réponse, pour toi, ce n'était pas une question mais vraiment une affirmation. C'était vraiment pas sûr les souterrains en pleine nuit. Par contre, un "viking grand et fort" ne correspondait peut-être pas tout à fait à ta description. Peu importe. Que tu sois avalé par Jörmungand si tu laissais quoique ce soit arriver à Ingrid  sous ta surveillance.
Alors vous marchez, avec comme seul bruit troublant le silence de la nuit les rafales de la rivière qui coule à vos côtés. Tu tournes ton regard vers elle, et souris largement. Tu as probablement l'air dérangé, mais tu n'en a que faire : même dans la nuit, son visage brillait d'une lueur d'une beauté stupéfiante. « Par le marteau de Thor ! Tu es décidément la plus belle femme que j'ai eu la chance de croiser de ma vie. Tu ne voudrais pas m'épouser, par hasard ? » Tentative numéro un de la soirée. Qui ne tente rien n'a rien, n'est ce pas ? Ce n'est pas la première fois que tu lui demandes sa main et, alcool impliqué, probablement pas la dernière. Tu as toujours essuyé des échecs cuisant, mais cette fois, tu sens que ton vent va tourner. Tu en es certain. « Non, attends, ne réponds pas, ne dis rien. Tu t'arrêtes, et pose une main sur son bras pour lui demander son attention. Ingrid, je suis fou de toi. Je le jures sur Odin, depuis la première fois que je t'ai aperçue, j'ai su que tu étais la femme de ma vie. Et tout ça n'a rien à voir avec l'alcool qui coule dans mes veines, je t'assures. Menteur. Tout ce que je te demande, c'est d'y réfléchir. Voilà, d'y réfléchir. Pense-y, rien qu'un petit peu, et tu verras que c'est pas une idée si étrange. Je suis un Vondr, un sang-pur, j'ai des terres, de l'argent, beaucoup de choses à t'offrir ! Tu serai heureuse. Tu ne le regretterai pas. »  Si les mots sortent de ta bouche aussi fluidement que l'eau d'une source, ton palpitant lui, bât la chamade comme jamais dans ta vie. Tu sais, du haut de ton alcoolisation, que ce que tu dis est important, et que cette nuit pourrait changer le cours de ta vie à jamais. Si seulement elle pouvait juste t'accorder le bénéfice du doute, tu sais que tu serai prêt à te battre pour elle, rien que pour avoir la chance de pouvoir te perdre indéfiniment dans ses yeux aussi bleus que l'océan.

La journée touchait à sa fin et il était l'heure pour la Rose de Fer de fermer ses portes. Invitant l'ensemble des vikings à quitter les lieux, à grand renforts de hurlements et sortilèges, Ingrid terminait de ranger la taverne qui au bout d'une journée avait plutôt l'air d'un véritable champ de bataille après que l'endroit ait été le théâtre de plusieurs bagarres. La Lokabrenna avait depuis longtemps appris à gérer les choses, elle commençait par les laisser faire -ça attirait toujours du monde en plus quand des hommes ayant le sang roux commençaient à se taper dessus, et puis elle n'intervenait que s'ils venaient à abîmer quelque chose ou si l'un d'entre eux était sur le point d'avoir le crâne fracassé en deux.

Mais ce soir-là, ce n'était pas la table brisée en deux qui inquiétait la Lokabrenna. Ce soir-là, elle craignait de rentrer chez elle et de devoir affronter les souterrains sans la présence rassurante de Norell ou de son père. L'un comme l'autre avait été retenu à la dernière minute et c'est seule qu'elle devrait se débrouiller. Elle craignait par dessus tout de se retrouver face à Roman, et à la simple pensée de l'homme de main de son père qui semblait se croire né de la barbe d'Odin, son palpitant accéléra poussé par la terreur. Mais en poussant la lourde porte d'entrée de la Rose de Fer, ce n'était pas Roman qui l'attendait de l'autre côté. C'était un autre homme -enfin, si un Vondr pouvait être considéré de la sorte, qui semblait tout aussi alcoolisé.

« C'est pas très sûr les souterrains le soir, tu pourrais avoir besoin d'un viking grand et fort pour te secourir. » Eric Vondr n'était pas tout à fait ce que l'on pouvait appeler un viking grand et fort, mais Ingrid savait une chose, elle ne risquait rien avec lui. Enfin, c'était la sensation qu'elle avait à force de l'entendre lui déblatérer milles et unes promesses et demandes en mariage. Il était loin d'avoir le sang roux, contrairement aux autres, et de toute façon il lui suffirait de se transformer en Norell si jamais il devenait réellement insupportable. En attendant, le silence s'était installé entre eux, et même si Ingrid ne se sentait pas tout à fait à l'aise de se retrouver seule avec homme, le chemin du retour ne lui semblait plus si infaisable même si le claquement de l'eau sur les parois du souterrain ne contribuait pas à la rassurer. Elle haïssait ce chemin, savoir les quais si proches la terrifiait et elle préférerait probablement se retrouver face à Fenrir plutôt que d'avoir à passer par là chaque jour qui se levait.

« Par le marteau de Thor ! Tu es décidément la plus belle femme que j'ai eu la chance de croiser de ma vie. Tu ne voudrais pas m'épouser, par hasard ? » Ingrid n'était pas réellement surprise par la demande, après tout ce n'était pas la première fois qu'alcoolisé de la sorte le Vondr lui demandait sa main. Mais d'habitude, il y avait des dizaines de viking tout autour d'eux qui s'empressaient d'hurler qu'elle n'épouserait qu'eux avant de se disperser comme s'ils avaient aperçus Fenrir se dresser devant eux quand Norell se contentait de leur jeter un coup d'oeil méprisant et elle n'avait aucun mal à refuser. Ici, au fond d'un souterrain, elle ignorait si la réaction d'Eric ne serait pas plus violente -même si son cerveau lui assurait qu'elle ne risquait rien, c'était un Vondr rien de plus. Elle dégagea lentement son bras tandis qu'il commençait son argumentation, des terres, des richesses, rien de plus que ce qu'elle n'avait déjà. Mais encore une fois il était sous l'emprise de l'alcool ce qui ne le rendait absolument pas crédible aux yeux d'Ingrid qui ne pu se retenir de faire quelques pas en arrière de peur qu'il prenne mal sa réponse. « C'est très gentil à toi Eric, mais je pense que l'alcool brouille un peu tes pensées ce soir. Et puis, je ne suis pas certaine que mon père accepterait de me voir avec un Vondr, vous ne possédez pas le don et il faut le sauvegarder. »

C'était la première fois qu'elle alignait plus de trois mots à l'attention d'Eric, non pas qu'elle le craignait comme la grande majorité des bourrins qui venaient se désaltérer à la Rose de Fer, mais sa façon de la regarder comme si elle était le plus grand trésor de l'univers la mettait parfois mal à l'aise. Maintenant, si elle avait le choix, elle préférait se retrouver dans ces souterrains en compagnie du Vondr que de Roman, il n'y avait pas de doutes à avoir.

Ingrid dégage son bras de ta main et son absence te brûle comme un fer chauffé au blanc. C'est l'une des premières fois que tu as osé entreprendre un contact charnel avec la belle et tu ne sais pas comment tu as pu survire aussi longtemps sur Midgard sans lui. Alors, lorsqu'il s'en va, ton palpitant manque de s'arrêter. Le fait qu'elle s'éloigne de toi fini pratiquement de complètement achever ton organe maintenant inutile. Elle t'a déjà repoussé, tu as l'habitude et connais les moindres coins, recoins, et même la couleur de ses excuses. Pourtant, cette fois, sa réponse te blesse. Tellement que tu vacilles, un peu. Ou peut-être serait-ce à cause de l'alcool ? Tu ne sais pas, tu ne sais plus. Les seules parties encore utilisables de ton cerveau sont actuellement focalisées sur les mots de la douce brune, l'inaccessible brune, celle qui ne te laisse pas l'approcher. En même temps que cette douleur, une joie, aussi. Elle t'a parlé ! Elle a prit part à une discussion, avec toi ! Si Siri apprenait ça ! Il faudra que tu penses à lui envoyer un corbeau, une fois arrivé chez toi. Si tu arrives à arriver chez toi, en fait. Peu importe.

Le mélange de peine et de joie t'étourdis un peu, ce qui te rends aussi vivace qu'un voltiflor. Tu t'énerves un peu contre toi-même en repensant aux mots de la Lokabrenna, et la vois déjà prendre ton dernier geste comme un nouveau signe d'alcoolémie. Mais non. C'est elle qui t'a fait ça, pas l'alcool ! Heureusement pour elle, pour toi, pour vous tous, tu n'as pas le sang roux malgré tout le temps que tu peux passer avec Asta Raudi ou Joren Vondr. Malheureusement pour elle, tu as bu. Objectivement, tu n'es pas trop sûr duquel est le pire. Le dernier, probablement. « Non, non, non, non. C'est pas à cause de l'alcool, et tu le sais, pas vrai ? » Tu la revois s'éloigner de toi, et c'est comme si Fenrir lui-même arrachait ton cœur de ses dents. Si tu étais quelqu'un d'autre, si elle était quelqu'un d'autre, tu souhaiterais juste que Hel l'emporte à ce niveau, et passerais à quelque chose d'autre, à quelqu'un d'autre. Seulement, c'est toi, et c'est elle. Et là, maintenant, tout de suite, dans cette allée sombre, dans cette nuit fraîche, toi et elle c'est tout ce qui compte à tes yeux. Alors tu réagis de ton mieux. Avec toute la conscience que tu possèdes, avec le peu de cartes qu'il te reste à jouer. En somme, avec rien.

« Comment tu peux dire que c'est à cause de l'alcool...Tu fais une pause, avales ta salive, réfléchis à ce que tu peux dire, faire. Alors que je suis dingue de toi depuis que j'ai treize ans ? Explique-moi, s'il te plait, ce que c'est si c'est pas de l'amour. Dis-moi, qui d'autre t'aime autant que moi ? »  Tu as l'impression de voir un regard terrifié se dessiner sur le visage de ta dulcinée. Tu ne sais plus quoi penser, quoi faire, quoi dire, pour la convaincre de ton amour, pour lui faire réaliser à quel point tu donnerais tout pour elle. Il te fallait une preuve. Une preuve assez bonne pour elle, pour sa famille toute entière, de quoi te faire prendre au sérieux, pour une fois dans ta vie. Pour la seule fois de ta vie qui importe, vraiment. Tu prends ta tête entre tes mains, réfléchissant aussi vivement que ton esprit anesthésié te le permet, puis, le bruit de l'eau attire ton attention.

« C'est ça ? C'est ça qu'il faut que je fasse ? » Tu te poses la question plus que tu la poses à Ingrid. Ce n'est peut-être pas ton idée la plus brillante, mais là tout de suite, rien d'autre dans l'environnement ne te permets de prouver ta virilité à la Lokabrenna. Au monde même, pour ce que ça vaut. Tu t'avances un peu vers le bord de la rivière qui coule paresseusement. Tu lèves les yeux vers Ingrid, déterminé. « Est-ce qu'il faut que je saute pour te prouver enfin, pour prouver à ta famille - pour prouver A TOUT LE MONDE ! que je suis aussi viril, aussi utile, aussi fort qu'un Mats Karlsefni ou un Bartram Oddi ? Est-ce que ça ça prouverait à ton père que je suis apte à t'épouser et à te faire honneur ? » Les mots ne sortent pas de ta bouche avec colère, mais plutôt avec un mélange de dépit et de souffrance. Et d'alcoolémie poussée. Tu sais, tu réalises, au fur et à mesure que tes phrases glissent sur ta langue, que rien de tout ça n'arrange ton cas. Mais tu es allé un peu trop loin pour t'en retirer avec le moindre honneur maintenant, donc autant continuer, on ne sait jamais. Mais peut-être que la prochaine fois, tu réduiras la dose d'hydromel. Ou restera chez toi, même.

« Comment tu peux dire que c'est à cause de l'alcool... Alors que je suis dingue de toi depuis que j'ai treize ans ? Explique-moi, s'il te plait, ce que c'est si c'est pas de l'amour. Dis-moi, qui d'autre t'aime autant que moi ? »

Ingrid ne savait pas comment réagir. Elle entendait les paroles d’Eric, mais ne l’écoutait pas vraiment, le regard fixé sur la rivière souterraine qui n’était désormais plus qu’à quelques mètres. Elle ignorait les jérémiades du fabricant de bâtons magiques et à vrai dire, même si elle avait réussie à donner un sens aux mots qui s’échappaient de sa bouche, elle n’aurait pas su comment réagir. Comment un homme –certes, un Vondr, mais passons ce détail, pouvait s’intéresser aussi longtemps à quelqu’un sans ne jamais rien tenté ? Bien sûr qu’il passait des heures entières à la taverne, mais il n’était pas le seul. D’autres avant lui l’avait demandé en mariage. Ingrid Lokabrenna était probablement la femme de Skuli cumulant le plus de courtisans, pour la plupart complètement saouls mais tout de même.

« Est-ce qu'il faut que je saute pour te prouver enfin, pour prouver à ta famille - pour prouver A TOUT LE MONDE ! que je suis aussi viril, aussi utile, aussi fort qu'un Mats Karlsefni ou un Bartram Oddi ? Est-ce que ça ça prouverait à ton père que je suis apte à t'épouser et à te faire honneur ? »

Le geste d’Eric en direction de la rivière attira à nouveau l’attention de la tavernière. Elle plongea réellement son regard dans celui du Vondr, pour la première fois depuis qu’elle le connaissait. Elle espérait des paroles en l’air, mais le geste que le jeune homme fit en direction de l’eau la tétanisa complètement. S’il sautait, elle ne pourrait pas allé le chercher, même en utilisant la magie. Sa peur de l’eau avait presque fini de la paralyser et les menaces du Vondr ne l’aidaient pas vraiment.

« Et tu crois réellement que tu comporter comme ces sangs roux pourrait me faire changer d’avis ? Si tu sautes je ne viendrais pas te chercher Eric alors éloignes-toi de l’eau maintenant. »

Même si elle n’était certainement pas prête à accepter d’épouser Eric Vondr, bien qu’il soit probablement ce qu’elle pourrait obtenir de mieux considérant le fait qu’il n’était pas une brute épaisse et qu’il savait se comporter quand il ne vidait pas la moitié de sa réserve d’öl, la tavernière ne souhaitait pas non plus qu’il se blesse à cause d’elle, elle n’avait pas un cœur de margygr après tout. Elle sentait bien que si elle ne faisait rien, cet idiot risquait fort de sauter ne serait-ce que pour prouver aux autres qu’il était aussi capable qu’eux de faire des choses complètement folles. Ingrid avait donc le choix : laisser le Vondr sauter et devoir surmonter sa phobie de l’eau pour aller le récupérer (impensable) ou vaincre sa gêne des hommes en lui tendant la main pour qu’il revienne un peu plus vers elle : le choix était vite fait.

« Allez, fais pas ton Oddi Eric, j’aimerai rentrer chez moi maintenant. »

La main tendue devant elle, Ingrid avait son palpitant qui s’était emballé. Elle implorait les mages que le Vondr ne fasse vraiment pas un truc stupide. S’il l’aimait autant qu’il disait, alors il prendrait sa main. La proximité de l’eau commençait réellement à la mettre mal à l’aise, elle devait sortir de là le plus vite possible et si Eric décidait de jouer les héros, et refusait de revenir à côté d’elle, elle le laisserait se débrouiller.