Région d'origine ● Originaire du Sviar, Isleif a d'abord grandi à Hafn Dreki. Ses parents ont fini par choisir les routes, et les ont emmenés, Njall, son frère cadet, Aesa, sa sœur, et lui, jusqu'aux confins du Sviar et du Noregr. Son adolescence a longé les Côtes de l'Est et le Wends avant de le ramener dans le Sviar. Date de naissance ● Tvímánuður 1269. Âge ● Vingt-six années accomplies. Nature du sang ● Mêlé. Partic. magiques ● On le dit doué d'une magie subtile, très maîtrisée. C'est qu'il sait, mieux qu'un autre, comme il faut respecter les enseignements dispensés ; comme seul un sang-mêlé, jamais élu de Durmstrang, peut en respecter, tout à la fois, la beauté et la force. Métier/Etudes ● Navigateur sur le Munin, jadis cartographe ; et même s'il gueule partout qu'il est le second du capitaine, c'est surtout pour attirer de la gueuse une fois à terre. Tout le monde sait que son capitaine, Grim pour les intimes, et lui ont d'insurmontables différends...

La mort de son frère, animagus souris avalé par un chat, est un sujet de plaisanteries qu'il encourage. ● Il ne s'en remettra jamais. ● Il a toujours un avis. ● Il a déniaisé Asta Raudi alors qu'elle n'avait que seize ans - ce qu'il considère comme sa plus grande victoire personnelle. ● Il nourrit l'espoir de déchoir une sang-pur qu'il prendra pour épouse. ● Il adore y aller de son petit commentaire.  ● Il se donne tout le temps en spectacle. ● Il a d'ailleurs sa petite notoriété à Hafn Dreki. ● On le connaît surtout pour son parti pris dans la rébellion. ● Pour tout ce qu'il ne sait pas faire, il a le joli talent de très bien faire semblant. ● C'est un colérique, un hargneux, un furieux qui ne se rendra jamais. ● Il raconterait bien à Dagmar Raudi une histoire qu'il n'a pas du tout envie d'entendre. ● Oui, c'est un rien répétitif mais c'est pas tous les jours qu'une Raudi s'étend aux pieds d'un sang-mêlé, merde !

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Et vous, la pureté du sang, vous en pensez quoi ?

Maman a eu le cœur brisé quand la lettre est arrivée, cette nuit-là. Njall la lisait de cet air de souffrance. C'était peu de temps avant sa mort, et je continue de croire que l'engagement d'Isleif sur le Munin n'y est pas étranger. Il n'en est pas responsable, c'est certain, mais c'est aussi la première fois que j'ai vu mon père pleurer. Et cela, il en est le coupable. Je ne lui en veux de rien, car il a toujours su. Et, d'ailleurs, nous le savions tous. Mon frère n'a jamais rien haï autant que son sang, que cette sorte de crasse attachée à sa chair, et toute l'instruction que l'on refusait aux gens comme nous. Et s'il a dû tous nous renier un peu, pour ça, je lui pardonne. Je lui pardonne encore d'avoir tenté de m'écarter, d'avoir tenté de me préserver bien malgré moi. Il n'y avait aucune raison que la pureté l'emporte sur nous, et sur tous ceux qui allaient nous suivre. C'est ainsi qu'il a vécu sa honte - en nous reniant un peu. Et si le cœur brisé de sa mère n'a pas pu l'arrêter, alors je sais qu'aucun sorcier ne devrait se trouver en lui et sa lutte.


Si vous ne deviez jurer que par un seul mage ancestral, ça serait lequel ?

Isleif disait toujours que ces choses-là n'appartenaient pas aux gens comme nous. Que les mages ancestraux, c'était encore les affaires des sang-pur. Que les mêlés bâtiraient leurs propres ancêtres, forgeraient leurs propres sorciers, et que, à défaut d'en trouver de capables, les hommes, seuls, tiendraient lieu de légende. Il prétendait qu'aucun n'avait jamais existé, que ce n'était que des histoires, de faux-mythes, pour endormir les plus faibles et adoucir les plus forts ; que ce n'était qu'un moyen pour tous nous asservir. Il a fini par défendre à nos parents d'en raconter quoi que ce soit à notre sœur, Aesa. Il devenait fou, colérique, chaque fois qu'un seul de leurs noms était prononcé. Il hurlait qu'on ne voyait rien, qu'on ne comprenait rien, qu'on prenait pour des comptines de grands mensonges. Il avait sûrement raison, mais nous ne sommes pas tous faits comme Isleif. Nous ne sommes pas tous incapables de croire.


Quel souvenir avez-vous du labyrinthe de Dürmstrang ? Ou ça vous fait envie ?

C'est toute la vie qu'il ne vivra jamais. Jamais il ne verra la divine forteresse.
Je lui ai si bien raconté. Durant tant et tant d'années. Isleif en a fait de sublimes dessins. De grands, de beaux, desseins. Que je l'ai vu cacher, profond, dans une toute petite partie de son être. Il a promis, un jour, si loin, qu'il les trouverait, le château et son labyrinthe ; qu'il franchirait ces empires hostiles à son sang. J'ai souri, bien entendu, consciente que ce monde-ci ne ferait jamais preuve d'autant de clémence. Sa génération ne serait pas la mienne, mais sa génération n'en serait pas libre pour autant. J'ai assez espéré pour cet enfant. J'ai assez prié pour lui. Je lui ai appris tout ce qu'on me défendait de lui apprendre. Je l'ai instruit des choses qu'il ne connaîtrait jamais. Mais, contrairement à mon vœu, cela n'a fait que renforcer son trouble. Il n'a pas compris. Il était jeune, c'est sûr, il était déjà grand et fort. Certain d'obtenir tout à sa portée. C'est de la sorte que je l'ai vu partir, tout avalé par les flots, à la recherche de ce royaume qu'il ne peut pas conquérir. Toute la magie qu'il détient ne servira à rien. Le château de Durmstrang, ce n'est pas seulement le conclave des élus ; c'est encore la déraison, la perdition, de croire qu'on peut tout obtenir alors qu'on possède déjà tout.

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« si l'amour te tourne le dos, touche-lui le cul. » heyannir 1290.


Lorsque l'on prononce son nom, il a comme l'esquisse d'un sourire pour mourir sur ses lèvres. C'est une sombre fierté qui se dessine, toute dans la courbe, et des souvenirs qui courbent et se recourbent contre ses tempes. Lorsque l'on prononce son nom, c'est tout l'orgueil qui remonte dans la gorge, qui relève le menton et plisse ainsi le nez. Oui, là, comme il le fait, à présent. Regardez-le. Il a l'ombre d'un rictus sur la bouche, son attention n'est plus à l'à-propos. Il est ailleurs, là où son être célèbre une victoire, jadis, emportée sans péril. Et c'est ainsi, toujours, quand l'on prononce le nom d'Asta Raudi.

« Elle a un de ces culs ! » « Si c'était que son cul... ça te ferait pas traverser tout le Noregr et même trouver un certain charme au port d'Hol Troll ! » « Bien parlé ! » Avinés, affalés sur leur table jonchée d'immondices, les deux hommes trinquent, sous l’œil d'un troisième, tout accoudé à l'autre bout. C'est en silence qu'il les scrute avec grand intérêt. Ce même rictus flotte sur ses lèvres vissées, tandis que les deux compères poursuivent leur œuvre. « C'est de famille, ça. » « C'est au cul de Dagmar Raudi que vous faites allusion ? » Les deux hommes se figent un moment, rien que d'entendre ce timbre. Ils s'aperçoivent enfin, et l'un des deux hommes repousse son verre en grognant : « Sois pas con, Isleif. On parle de Damara... » « Damara ! Vous plaisantez ? J'ai jamais vu un cageot pareil ! » Ils ricanent dès lors aux dépens de l'importun. Mais Isleif s'en défend aussitôt : « Non, franchement... elle a un œil qui cherche son voisin, et c'est une vraie connasse. » « Parce que tu connais Damara Raudi, toi ? » Ils rient un peu plus fort, et quelques regards se tournent vers eux. Piqué, Isleif s'arrache à son siège et s'assoit auprès d'eux, avec cet air d'avoir toute une légende divine à raconter. « Pas personnellement, c'est sûr. Mais je connais un gars qu'a assez tutoyé sa sœur pour en avoir un joli aperçu. » L'un des deux hommes marque un temps, puis : « Tutoyé ?... » « Oh, ça, il l'a bien tutoyée. Même deux fois. Deux fois de suite. »

Après plusieurs minutes à filer son décor, mot après mot, geste après geste, Isleif se tient, là, accroupi sur la table, une assistance toute attentive à son récit, impatiente d'en entendre la suite – même l'ultime chapitre. Nul ne prête plus attention à la véracité, à la réalité, des lignes et des lignes qu'il écrit pour leurs oreilles spectatrices. C'est, tout à la fois, une rumeur, une histoire, une légende, qu'il est bon d'entendre et de pouvoir juger, et critiquer, chacun de son côté, une fois rentré chez soi. Qu'il continue, quand même il exagère. Qu'il se presse, allons, allons, quand même il mentirait.
« C'est pas mentir de dire que les Raudi ont le sang chaud. C'est que ça commence plus bas que le ventre, mais plus haut que le genou, vous voyez ? » Pour voir, il voient. Ils imaginent, si cela ne suffit pas. Et même ceux qui n'ont jamais vu le moindre Raudi de leurs propres yeux ont suffisamment d'imagination, et d'alcool dans le corps, pour cela. « Alors le type est monté sur le pont du Loup des mers, pas peu fier, et presque rien sur le cul... » « Et il a fait un tour de la victoire ? gueule un type de l'assemblée ivrogne. » « Et il a fait un tour de la victoire ! lui donne raison Isleif, en avalant une nouvelle lampée. » Le reste se réjouit, hurle, trinque et boit. On fornique même dans un coin, à la gloire de cette belle aventure. « Et Dagmar Raudi ? demande un autre. » « Dagmar ? reprend le sang-mêlé de cette voix qui soutient le suspens. Oh, il a vu venir sa gamine sans se douter qu'elle n'avait plus grand-chose de propre ! » On fête encore la conquête, à force de cris bestiaux, qu'Isleif s'empresse de célébrer à son tour en se levant, bien haut, les pieds vacillants sur la table. « Je propose... je propose de lever nos verres ! balbutie-t-il tout en gueulant. À Asta Raudi, la déniaisée du Loup des Mers ! Que son cul... (ou la table tangue, ou il s'enivre trop) que son cul reste à jamais dans l'Histoire ! »


« un homme en vaut un autre. et même quelques fois plus. » gormánuður 1294.


« Ils ne sont pas tous comme tu le dis. » Aussitôt, et sans faire la moindre manière, on lui rit... eh bien, à la gueule ! comme il n'est d'autre vocabulaire admis sur le pont du Munin. Les membres de l'équipage s'esclaffe, le ton tout contre celui du capitaine. Les visages hilares l'accablent de leur rictus incroyable et, cependant, il demeure. Bien sûr, lui fait l'impénétrable alors que tous les mots viennent pour le transpercer et faire fuir la vie de son corps. « Notre bon Isleif deviendrait-il sentimental ?... » C'est Grim, bien sûr, fier capitaine, qui se dégage de la mascarade. Il entend faire montre de son autorité et, tout à la fois, enorgueillir ses hommes. Le jeune sang-mêlé en est une partie, c'est entendu, mais celle qu'il faut volontiers malmener pour ferrer le restant. « Je ne suis pas sentimental, siffle-t-il entre ses dents. » Il s'efforce un calme qui ne le pénètre pas. Tout le monde connaît la personnalité emportée du navigateur, et son naturel bienveillant pour les esclandres. C'est que l'enjeu est important. Mais c'est, alors, que l'enjeu est emprunt de ridicule. Et c'est probablement la raison pour laquelle Grim, dit téméraire, s'emploie à rendre la discorde ridicule - car sa dangerosité est certainement égale à sa propre avidité. « Tu crois que je ne sais pas pour ta bergère ?... » Un pourpre étrange, glacé, pour parcourir ses veines révoltées. Et Grim s'en félicite presque aussitôt, d'un sourire gras, célébré par sa foule de dévots admirateurs. « Et le sorcier qui murmurait à l'oreille des dragons, qu'il rit un peu plus fort – et puisque chacun goûte la plaisanterie avec une rare spontanéité, l'accablé se sent prisonnier. » Isleif n'imagine pas. Qu'on l'a suivi. Qu'on a couru ses pas jusque là-bas. Jusque partout. C'est d'une cruauté toute imaginée par Grim, bien entendu, mais le sang-mêlé sait, soudain, que l'idée ne peut émaner de lui-même. Son capitaine est trop impulsif, et bien souvent stupide, pour avoir initié la traque. Que lui importe, d'ailleurs ! « Si tu sais si bien pour Siri Freknur, déclare-t-il d'un ton égal, alors tu sais ce qu'elle a fait pour les nôtres. » « Je sais surtout ce que, toi, t'aimerais lui faire, pas vrai ? » « Ne sois pas répugnant, tente-t-il sous de nouveaux rires, tout à la fois railleurs et spectateurs. » C'est le jeu, bien entendu. Grim l'emporte toujours, Isleif devrait bien le savoir, mais il s'entête. Comme l'on défend quelque chose d'honorable, de presque poétique et, de fait, parfaitement surfait dans ce monde brutal et trivial. Il n'y a aucune véritable poésie, mais la chair du jeune sorcier s'étreint rien qu'à la pensée de la belle maculée des mots sortis d'une telle bouche. Horrible bouche, qui vomit autant d'insultes que de vulgarités. C'est un peu la salir, comprenez. Et lui est humilié, d'être si piètre protecteur. Tout en même temps qu'il se hait d'une si navrante impuissance, il se rappelle aussi comme les insanités de tels êtres n'ont rien pour entacher la gloire attachée à une femme si puissante. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut encore la défendre et, ce faisant, glorifier sa propre guerre : « Regardez-le faire le poète, soupire Grim – dont la patience touche à son terme. Tu penses vraiment... » Il s'interrompt soudain, sous l'impatience de l'assistance. L'on attend le troisième acte comme la bénédiction des Nornes, sur ce pont, et la victime de la tragédie n'attend que son échappatoire. « Qu'est-ce que tu crois, gamin ? que ça suffit ? qu'il faut juste ramasser deux ou trois sang-mêlés pour être pardonné ? pour savoir ce que ça fait d'être... nous ? » « Il n'y a pas de nous, murmure-t-il. » C'est là que Grim abandonne sa patience – aussi légendaire que bien des exploits – et empoigne le jeune navigateur par le col. Il est si près, par Odin. Son visage est balafré d'une rage mal contenue. C'est là sa faiblesse. « Fais bien attention, mon garçon. Tu ne voudrais pas que lui, désigne-t-il un homme, quelconque, dans l'amas de badauds, ou lui, en désigne-t-il un autre, rende une sympathique visite à ta jolie bergère, pas vrai ? Tu ne voudrais pas... » C'est une lame qu'Isleif sent tout contre son ventre, tout à coup. Il sait qu'il ne va pas mourir. Mais c'est la blessure qu'il doit craindre, et cette pensée est fort loin de quitter son esprit. « Tu ne voudrais pas qu'il lui arrive quelque chose comme ça, je me trompe ? » La lame, le poignard, le couteau, qu'importe, dessine une ligne que, même à travers le tissu, le jeune sang-mêlé ne sent que trop bien. « T'es trop con, claque la langue d'Isleif en même temps qu'il scinde l'étreinte. » Grim ne le retient pas, il ne fait encore que rire avec cette voix de dément que son navigateur a en horreur. Les autres l'accompagnent, en même temps que l'accablé tente de s'éloigner. « Où tu comptes aller au juste, Isleif ? Y'a que la mer tout autour ! » Il n'écoute pas. Et son esprit l'en remercie avec une froideur implacable. Car la crainte le pénètre, et l'étreint, soudainement. « Y'a que la mer, par Thor ! » Et toute cette étendue d'eau salée, carnassière, lui semble hostile, alors. Il est si loin de la terre. Si loin du Noregr. Si loin d'elle. Grim en déciderait de la sorte qu'il ne pourrait rien. Et quand la vue de cette femme sublime, meilleure que bien des sang-mêlés en ce monde vorace, massacrée, au corps violé et malmené, s'étend sous ses yeux de garçon, Isleif bascule la tête, là, par-dessus la proue, et va jusqu'à vomir, tout son être votif pour le grand Njörd, moins ses viscères que son horreur.


« va, si tu veux, chercher un fiancé stupide. » gormánuður 1295.

Aesa, chère sœur.

Plaise aux Nornes que je rentre bientôt. Alors je pencherai mes lèvres sur ton front, je promets, comme je le faisais jadis. Et, toi, tu répandras encore tes doigts sur mes joues et mes tempes. Tu m'étreindras comme au lendemain d'une longue bataille, d'une guerre infinie.
Et c'en sera fait de mon bonheur et du tien.

Et si je ne rentre pas, promets que tu ne laisseras aucun, pas le moindre d'entre eux - jamais, s'emparer de ton plus bel amour sans qu'il n'y ait abandonné la moitié de son âme. Promets que ta valeur n'en sera jamais altérée. Promets encore que nul ne posera les yeux sur la belle, la douce, Aesa d'Hafn Dreki sans y rompre son être. Car tu es noble et magnifique, ô ma sœur, et que personne ne t'aimera mieux que je ne le fais. Car il n'y a que les frères pour aimer leurs sœurs de la sorte et qu'il n'est pas de sentiments plus purs que les miens, et plus dévotes prières que celles que je formule à ton nom. Je sais que l'on te sauvera, mais protège-toi encore, mieux que mille hommes. De ces mille hommes que je sais avides, et violents, incapables de comprendre qu'il n'existe rien de plus précieux, d'aussi sublime, en Midgard, que tes yeux clairs et ta peau pâle.

Promets, aussi, de toujours honorer, de ne jamais salir, la mémoire de feu notre frère. N'oublie ni son talent ni son péril. N'oublie jamais que sa jeune mort nous a instruits, et qu'il vit tout entier dans le souffle qui t'interdit, je t'en conjure, de mourir avant l'aube de lointaines décennies.

Dis encore à nos parents que leur fils vit toujours. Qu'Isleif le téméraire sait ce qu'il doit au ventre qui l'a nourri et aux mains qui l'ont façonné. Dis-leur bien mon amour, mais gardes-en pour toi. Pour ta beauté et ton courage, et toutes ces choses que, je sais, le temps n'osera pas te ravir.

Enfin, souviens-toi de ce frère. Ne pleure pas tant sa mort. Je vivrai pour toujours - tu m'en feras l'honneur. Je te cède volontiers, tout entier, tout ce que je possède et si ce n'est rien, alors je m'en excuse. Mais sache qu'il n'est rien que je garde pour moi, et pour moi seul, que le bonheur que ta vie me procure. Puisses-tu toujours vivre. Puisses-tu toujours m'aimer.
Que ma mort soit ma dernière offrande.

Plaise aux Nornes que je rentre bientôt.
Ton dévoué et ton serviteur,
Ton frère, Isleif.

« j'irai cracher sur vos tombes. » mörsugur 1295.


Pardonne-moi. Pardonne-moi pour tout ce que j'ai déjà fait. Pour ce que je m'apprête à faire. C'est pour toi, Damara. Tout est pour toi, je ne garde rien pour moi-même. C'est ta revanche. Elle est laide, n'est-ce pas ? Et lâche, bien sûr. Mais ce sera grandiose, je le promets. Ce sera comme tu l'imaginais. Ce sera beau, et juste, un jour. Mais il le faut. Cette nuit. Il faut que j'injurie encore un peu ton nom, et ton souvenir. Une nuit encore.

Isleif convoque, invoque, tout son courage. Les poings serrés et la mâchoire endolorie. Il murmure encore un peu le nom de Damara, Damara Bjöndr, sa grand-mère, dont il revendique toute la certitude, en cette nuit obscure et très bientôt funeste. Il lui faut sa puissance. Il lui faut toute sa force. Que toute la grandeur et la témérité qu'elle a nichées, jadis, dans son être d'enfant s'émancipent et éclosent. Il l'en prie. L'en supplie. Tandis qu'une horde de ses pairs se disperse tout autour. Jól sera leur, cette année. On se souviendra pour toujours de cette nuit de Mörsugur. On se souviendra pour toujours de leur œuvre. Il n'y aura plus jamais d'aube sur leurs maisons bâtardes.

« Je ne vais pas mourir. Je ne vais pas mourir, qu'il souffle dans la nuit froide. » Un peu d'horreur, surtout de peur, s'est enfoncée dans ses entrailles. Une ire volcanique l'empêche d'en aviser toute l'envergure, mais il le sent tout de même, ça et là, un peu partout, et dans ses bras, et dans ses jambes. C'est un léger fléchissement du genou. Le vacillement des doigts. Les lèvres qui crachent plutôt que de parler. « Je ne vais pas mourir. » Sa détermination ne fléchit pas, bien au contraire. Elle s'accentue chaque fois qu'il voit une ombre, comparse, se fondre à ses côtés. Son murmure est devenu un silence, alors que sa bouche continue de proférer sa prière. Enfin, un homme se dégage sur sa droite, et empoigne son épaule. « C'est l'heure. Grim attend. » Le nom le répugne, si bien qu'il se dégage. Ses yeux demeurent, obstinément fixés sur l'ouverture caverneuse qui s'engage vers Skuli. « Il faut envoyer les margygrs. » Le sang-mêlé opine, arrachant le poignard fiché à sa ceinture. Il en est responsable. On attend après son ordre, qu'il tient lui-même du furieux capitaine. L'idée le traverse, celle de renoncer au massacre. Tant et tant de sorciers vont mourir. Le plus grand nombre, s'ils parviennent à accomplir l’entièreté de leur plan. De vaines morts auxquelles il consent sans sentir autre chose, tout au fond de son être, qu'un puissant désir de sauvegarde, aux dépens de tous, s'il le faut. Alors il se redresse, se tourne vers les émissaires de sa justice, et gueule comme un enragé : « Pétez-moi ces runes, et foutez-moi le feu à ce nid de connards !... et tuez, tuez, tout ce qui tente d'en sortir ! Pour le Munin ! »

C'est le port qu'il rejoint, où la carrure de Grim se dessine dans les ombres révulsées contre les parois. Le feu est déjà tout à son festin, et ça s'entre-tue où que soit porté le regard. Isleif ne ressent plus la moindre crainte, il en est incapable. Il bouscule simplement les imprudents, fiche des coups de lame dans les ventres et exhorte à davantage de violence. Il faut encore que l'anarchie la plus complète vienne à régner toute entière sur le misérable royaume de Skuli. Il faut encore du sang et les premières gouttes qui éclaboussent son visage l'enivrent fiévreusement. Les choses dégénèrent si bien, et si vite, qu'ils pensent l'emporter alors que la défaite s'amorce déjà. Des noms sont hurlés, et les haches en répondent aussitôt. « C’est une révolte ! Ils sont guidés par Freknur et Helgason ! » La course d'Isleif en est aussi arrêtée. Se peut-il ?... Son regard va pour les alentours, mais la masse est compacte, et informe. Il ne distingue rien, qui soit vraiment ou allié ou ennemi. Il ne retrouve aucun des visages qui accompagne les noms. Il ne le sait pas, mais ils sont parfaitement hors de sa portée. C'est Grim qui gueule à son tour, harangue ses fidèles, et les quais qui le séparent d'Isleif deviennent insurmontables. C'est le chaos, et le jeune sang-mêlé doit encore en répondre de sa vie. Il éviscère pour autant qu'il le peut et relâche tous les corps pour la mer. Il vivra. Il vivra. Mais ce n'est pas assez. Comme le piège se referme sur le capitaine du Munin, Isleif tente encore de se rapprocher pour autant qu'il le peut. Mais c'est trop tard quand ses pieds longent le bois craquant qui s'effondre dans l'eau. La lame est tout près de la gorge. Le Viggrinirr ne vivra pas jusqu'au matin, s'il l'ose. Et, cependant, le souffle d'Isleif se suspend. Quel triste spectateur, à dix lieues trop en retrait pour improviser un sauvetage. Il attrape l'un de ses pairs, et l'attire brutalement à lui. « Rassemble tout le monde. Le plus que tu peux, et partez. » Comme l'autre va pour discuter, il le repousse dans sa course. « Fais ce que je te dis, on peut plus rien pour Grim. » Il rabat aussitôt un sombre capuchon sur son visage, tandis que ses pas s'éloignent peu à peu de la scène. C'est trop tard. Il vivra. Et si cette nuit résonnera pour toujours dans l'Histoire, il en garde l'amertume qui se terre tout au fond de sa gorge. La défaite en lacère chaque aspect. « Putain de connard, tu pouvais pas fermer ta gueule ?... »