Un hurlement me déchire soudain le coeur. Il provient de la maison la plus proche de la mienne, celle de Kazran. Je manque de me couper le doigt et arrête mon activité, soit hacher les herbes qui serviront à mes potions. Je soupire. Encore un grand blessé, cela ne fait aucun doute. Des pas retentissent sur le sol dur et on frappe à la porte. Je n'ai pas le temps de répondre, mon ami entre dans un bruit infernal qui me fait sursauter. « J'ai besoin de toi Bettina », me dit-il dans un souffle. Je déglutis mais ne dit rien. Je me contente de récupérer mon panier, dans lequel se trouvent les potions rudimentaires. Je le suis. Nous passons le seuil de sa porte et fait face à une scène qui me glace le sang. Allongée sur la table de la pièce unique de la demeure de Kazran, une femme du village. Elle a les mains posées sur son ventre arrondi mais semble souffrir le martyr. Au pied de la table, du sang, partout, qui ne présage rien de bon. Je secoue la tête et me tourne vers Kazran. « Je ne suis pas accoucheuse ». La vérité étant que je suis morte de peur. Je suis bien incapable de lui apporter mon aide, pas dans cette situation. Je remarque alors que nous ne sommes pas seuls, un homme approche et saisit mes mains. Il doit être le mari de cette pauvre femme. « Freyr nous a abandonné, nous êtes notre dernier espoir. Ayez pitié », me murmure-t-il. Je regarde Kazran, puis me dirige vers la future mère. Elle hurle, pleure et si je ne croyais pas aux bons talents de mon ami, je serai déjà partie en courant. Je me décide à lui préparer un tissu imbibé de liquide gelé pour la rafraîchir car elle est brûlante. Je dépose le vêtement sur son front et réfléchit. Je dois trouver la potion qui la soulagera. Je saisis ma préparation de voltiflor, et en donne à la patiente. Je regarde ensuite Kazran, qui semble assez calme, lui masser le ventre. Nous ne pouvons rien faire, rien à part attendre. Mais au moindre son, mon coeur tambourine contre ma poitrine. Alors que le pire paraît derrière nous, la femme se tord brusquement de douleur et pousse un cri tragique. Elle me regarde, comme si tout était perdu.

« Bettina », appelle Kazran. La réalité me fait finalement face. Je ne lui réponds pas. Je n'en ai pas très envie. « Regarde-moi ». Je soupire et finis par tourner la tête vers lui. Il a des cernes, il est fatigué. Mais il ne semble pas aussi démoralisé que moi. Je détourne le regard et fixe le ciel. Les étoiles brillent, tout est si beau. Il approche et quand il est à quelques centimètre de moi, son souffle chaud me brûle alors la nuque. « Tu n'es pas responsable », finit-il par conclure. Mes yeux se remplissent de larmes, je ne vacille pas. « Je sais ». Elle est morte, et son enfant également. Nous n'avons pas pu les aider. Je me demande bien comment le mari va pouvoir vivre à nouveau. Il a tout perdu, et je ne peux le supporter. Kazran saisit ma main et me force à me tourner vers lui. Je grogne. « Je voudrais être seule ». Il ne bouge pourtant pas. Je le connais pas coeur, il va encore me parler de notre condition de mortels. « Nous ne pouvons rien faire contre cela, Bets », commence-t-il. Je lève les yeux au ciel, je le savais. Je suis en colère. Si même les sorciers ne peuvent changer les choses, pourquoi diable sommes-nous nés différents ? « Comment peux-tu exercer ce métier, alors ? ». Je ne peux pas, non je ne pourrais pas décider de la vie ou de la mort ainsi. Il soupire. « Parce que, il le faut bien ». Le silence nous fait face. Nous regardons tous deux le ciel. Puis, Kazran m'attire contre lui. Il ne le fait que très rarement. Je ferme les yeux et profite de cet instant car demain sera un jour nouveau oui mais ce soir, je veux simplement retrouver mon ami, ce jeune garçon qui a sauvé ma vie il y a bien des années. Comme nous avons grandi depuis.